Conduites de la personne qui anime une communauté de recherche philosophique

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Voici 14 conduites de l’animateur-trice d’une communauté de recherche qu’il serait souhaitable de voir apparaître au moment de son animation.  Cela ne veut pas dire que toutes ces conduites doivent être présentes en une seule animation.  Mais si aucune d’elles ne s’y trouve, on est loin de ce qui se joue au moment de faire de la philosophie avec les enfants en communauté de recherche.  Tous ces textes sont tirés du livre: Penser ensemble à l’école: des outils pour l’observation d’une communauté de recherche en action, Michel Sasseville et Mathieu Gagnon,  collection Dialoguer, PUL, 2012, 290 p.  Et comme on pourra le remarquer, ce ne sont là que quelques exemples de l’ensemble des conduites de l’animateur-trice.  Toutes ces conduites prennent racine, notamment, dans le questionnement de la personne qui anime et permettent ainsi aux enfants d’entrevoir les problèmes qui se cachent sous les questions, les leurs, autant que celles de l’animateur-trice.

1- Encourager les enfants à définir

Une recherche philosophique convoque plusieurs concepts éminemment complexes qui demandent réflexion et analyse. En fait, les concepts philosophiques sont des concepts «chevelus», comme diraient certains, et non pas «chauves» ou «durcis»; c’est-à-dire qu’ils recoupent plusieurs significations et qu’ils s’étendent à de nombreux domaines. Nous savons, par ailleurs, que pour gagner en efficacité lorsque nous nous engageons dans une recherche philosophique, il devient précieux de clarifier et de définir non pas l’ensemble des termes que nous utilisons, mais du moins ceux qui occupent une place centrale dans la formulation et la résolution du problème que nous décidons d’aborder. Or, les participants ne se donnent pas toujours la «peine», par eux-mêmes et selon un acte de volonté qui leur est propre, de définir les concepts qu’ils mobilisent dans leurs raisonnements – il n’est pas rare que nous présupposions que le sens que nous accordons à un mot est le même pour tous. Bien que ceci soit davantage observable à l’intérieur d’une communauté de recherche qui en est à ses premiers pas, l’animateur doit demeurer constamment vigilant, peu importe la communauté de recherche avec laquelle il travaille, afin d’identifier les notions qui gagneraient à être explorées plus avant et de les exposer aux participants pour qu’ils puissent non seulement prendre l’habitude de s’engager dans des processus de définition, mais également prendre conscience de l’importance de cet acte de pensée.

Nous ne pourrions dire avec précision quelle notion est «plus» centrale qu’une autre à l’intérieur d’un processus de recherche, tellement leur importance est reliée au contexte. Ici, ce sont la sensibilité et l’attention de l’animateur qui servent de critère de décision. Il n’en demeure pas moins que, de manière générale, les concepts sur lesquels porte la discussion ainsi que ceux que nous convoquons pour en juger revêtent une importance certaine, et c’est pourquoi il devient précieux d’aider les élèves à les définir. Ainsi, si nous nous demandons si une loi est juste, nous devrons, afin d’être plus efficaces, définir ce que nous entendons par «loi» et par «justice». Ensuite, ce seront les concepts sur lesquels nous nous baserons pour définir ces notions qui gagneront à être définis (par exemple si nous disons qu’une loi est juste dans la mesure où elle n’est pas discriminatoire, il deviendra avantageux de clarifier ce que nous entendons par «discriminatoire»). En somme, c’est l’enchaînement que nous créons, au fil de la recherche, qui nous permettra de déterminer quels concepts sont centraux et lesquels sont secondaires (du moins pour l’instant).

Il existe sans doute autant de manière d’aider les élèves à définir qu’il y a d’animateurs. L’important est de donner aux enfants l’espace pour le faire, de les aider dans ce processus et non de le faire à leur place : c’est seulement ainsi qu’ils apprendront «réellement» à définir et qu’ils développeront les habiletés et attitudes qui sont associées à cet acte. Sur le plan pédagogique, les avantages de procéder ainsi sont nombreux. En donnant l’occasion aux élèves de définir les termes qu’ils utilisent, nous leur permettons de voir qu’à plusieurs, en construisant ensemble nos idées, nous parvenons à des résultats extrêmement viables, souvent comparables aux conceptions sociales (telles que celles que nous retrouvons dans les dictionnaires par exemple); nous leur offrons un espace dans lequel ils sont aussi appelés à mobiliser leurs pensées critique, créatrice et attentive, l’animateur se donnant du même coup la chance d’accéder à un portrait intéressant des conceptions des élèves.

Voici quelques questions générales qu’un animateur peut utiliser afin d’aider les élèves à s’engager dans un processus de définition :

– Qu’entends-tu par ___________ ?

– Que veux-tu dire quand tu utilises ce mot?

– D’après toi, quand tu dis _________, est-ce que ça veut dire la même chose que _________? (définir par comparaison)

–  En quoi __________ est différent de ___________ selon toi? (définir par distinction)

–  Est-ce que ça prend _________ pour dire que c’est ________ ? (définir par critères)

2- Encourager le dialogue entre les enfants

La notion même de communauté de recherche philosophique rappelle la dimension éminemment sociale et communautaire qui la constitue. La communauté de recherche est un lieu où chacun partage ses idées avec les autres, elle est un lieu où s’exerce une mise en commun des pensées et où les relations sociales comptent pour une part essentielle du processus.

Il arrive souvent, lorsque nous en sommes à nos premières expériences de discussions philosophiques avec un groupe de jeunes, que ces derniers s’adressent principalement à l’animateur pour exprimer leurs idées, et ce, même si certains de leurs propos s’appuient sur ce que d’autres ont pu dire précédemment dans la discussion. Ce comportement consistant à utiliser l’animateur comme «moyen terme» pour exprimer ses idées peut s’expliquer de plusieurs manières. D’une part, nous pourrions penser que le fait que ce soit l’animateur qui pose généralement les questions incite peut-être les enfants à s’adresser directement à lui. D’où, entre autres, l’importance d’inviter les enfants à se poser des questions entre eux. D’autre part, nous pourrions faire l’hypothèse que le contexte de l’enseignement traditionnel, où c’est le professeur qui pose les questions et où c’est à lui que s’adressent les réponses, contribue à générer, pour les enfants, l’habitude de répondre aux autres par l’entremise de l’enseignant.

Dans une CRP cependant, l’un des objectifs principaux est de créer un environnement dans lequel les participants sont invités à échanger entre eux, c’est-à-dire en s’adressant directement les uns aux autres. C’est d’ailleurs à l’intérieur de ces échanges que se dessine l’ensemble des relations sociales qui constituent les dimensions éthique et démocratique de la CRP.

L’animateur a un rôle important à jouer dans cette mise en relation et cette co-construction des idées. Il peut le faire soit en manifestant des comportements de co-construction, soit en formulant des commentaires ou en posant des questions. Voici quelques exemples d’interventions-types dont l’animateur peut user afin de favoriser les échanges entre les enfants :

Auriez-vous des commentaires ou des questions sur l’idée avancée par __________ ?

Ton idée semble rejoindre celle de ________ . Pouvez-vous nous dire en quoi vous pensez de la même manière?

Avez-vous des questions à poser à __________ ?

Ton intervention semble rejoindre celle de _________ . Tu peux t’adresser directement à lui (à elle).

Tu peux formuler ton commentaire en t’adressant directement à _________ .

3- Encourager la considération de plusieurs points de vue

L’une des plus grandes richesses de la communauté de recherche philosophique est probablement l’intérêt que l’on accorde aux différences. En fait, c’est à partir d’elles que se réalisera la recherche et c’est en les considérant attentivement que les enfants construisent leurs connaissances, leurs représentations, leurs valeurs… Chaque participant a une expérience différente, chacun d’eux possède des connaissances particulières, a une manière de voir les choses, d’interpréter les problèmes et de penser qui lui est propre. Contribuer à mettre en relation cette multiplicité de perspectives, c’est contribuer à enrichir notre compréhension globale d’un problème ou d’un concept.

Nous touchons ici à l’idée d’intersubjectivité qui alimente une bonne partie du processus de recherche à l’intérieur d’un dialogue philosophique en communauté. L’échange des idées, la réflexion commune, la co-construction sont autant de principes sur lesquels s’érige ce processus. Le concept même du dialogue rejoint cette idée : dialoguer, c’est considérer l’autre comme autant capable de «vérité» que soi, comme le dit Marcel Conche. La pensée attentive joue donc ici un rôle déterminant, puisque c’est par elle qu’il devient possible d’avoir de la considération pour les autres et leurs idées. Il semble que ce soit en prenant appui tant sur nos conceptions que sur celles des autres qu’il devient possible d’objectiver nos savoirs (et non de les rendre purement objectifs), de construire nos représentations…

Encourager la considération de plusieurs points de vue est l’une des tâches principales de l’animateur d’une CRP. Les concepts philosophiques qui sont en jeu lors de telles recherches s’y prêtent à merveille. C’est d’ailleurs à travers cette invitation qu’il deviendra possible d’engager les enfants dans la pratique de certaines attitudes (v.g. l’écoute, le respect, l’auto-correction…) et habiletés de pensée (v.g. fournir des contre-exemples ou des contre arguments, envisager un problème selon différents angles, traduire, synthétiser…).

L’animateur dispose de plusieurs moyens pour encourager la considération de points de vue différents. Il peut, par exemple, souligner l’effort d’un enfant à traduire la pensée des autres ou à mettre en évidence les opinions de ceux et celles qui pensent autrement. L’animateur peut également favoriser cette rencontre en utilisant des questions générales d’animation. En voici quelques exemples :

En quoi ta pensée est-elle différente (ou ressemble-t-elle) à celle de _______ ?

Que comprenez-vous de ce que _______ vient de dire?

Y a-t-il des personnes qui pensent différemment sur ce point?

Comment pourrions-nous intégrer ce que _______ vient de dire à ce que nous disions plus tôt?

En quoi ce que ______ vient de dire t’a fait changer d’idée?

Il va sans dire qu’ici comme ailleurs, l’animateur utilise ces outils dans le but d’encourager les enfants à développer leurs aptitudes. L’idéal demeure tout de même de voir les participants prendre soin, par et pour eux-mêmes, de considérer attentivement le point de vue des autres. C’est à ce moment d’ailleurs que nous pouvons inférer la mobilisation d’habiletés et d’attitudes, éléments essentiels au développement de compétences.

4- Encourager à donner des raisons

La personne qui anime une communauté de recherche poursuit plusieurs objectifs. Elle doit notamment s’assurer que le dialogue qui se développe entre les membres de la communauté de recherche, dont elle fait partie, fera de plus en plus de place à des raisons venant justifier les propos de chacun des membres.

Une raison est un point d’appui, un point à partir duquel nous pouvons soutenir ou justifier ce que nous avançons. Ainsi, si une personne dit : «Je désire suivre un cours de logique», qu’une autre personne lui demande : «Pourquoi désires-tu suivre un tel cours?» et que la première réponde : «Parce que j’aimerais comprendre ce que veut dire le mot raison», cette personne est en train de justifier son désir, son souhait en fournissant une raison, en élaborant un argument. En s’engageant dans l’acte de fournir une raison, la personne donne le point de vue à partir duquel elle appuie son opinion, son sentiment, etc. Dans une communauté de recherche, l’enquête ne saurait se passer de la mise en évidence des raisons. C’est un acte fondamental qui met les enfants au défi de dépasser la simple opinion.

Pour aider les enfants à fournir des raisons, l’animateur pourra poser une série de questions. En voici des exemples :

1- Pourquoi dis-tu cela?

2- Sur quoi te bases-tu pour dire cela?

3- As-tu un argument pouvant appuyer ce que tu avances?

4- As-tu une raison pour dire ce que tu dis?

5- Qu’est-ce qui te fait ( ou permet) de dire telle ou telle chose?

6- Peux-tu justifier ce que tu avances?

7- …

À chaque fois, l’animateur met les enfants au défi de dépasser la simple opinion en appuyant celle-ci sur quelque chose de plus solide, de plus connu, qui peut éventuellement justifier ou expliquer l’opinion émise.

Bien que dépassant le cadre particulier du thème présentement à l’étude, un autre pas à accomplir consisterait à demander aux enfants d’évaluer les raisons avancées par tel ou tel membre de la communauté de recherche. Car, même si nous avons une raison venant appuyer notre propos ou notre geste, il ne faudrait pas conclure immédiatement que cette raison est une bonne raison. Il arrive parfois que nous agissions de telle ou telle manière pour de mauvaises raisons.

5- Demander des exemples

L’exemple est un instrument de recherche très important.  Et l’animateur d’une communauté de recherche pourra faire appel à cet outil en diverses occasions.

Ainsi, il pourra s’agir de concrétiser une idée, de citer un cas ou un événement particulier qui entre dans le genre de choses dont on est en train de parler :

Animateur : Quand tu dis que la liberté est l’absence de contrainte, pourrais-tu nous donner un exemple?

Julie : Oui, bien sûr. Quand mes parents me disent de rentrer à telle heure, ils m’empêchent de faire ce que je veux et, du coup, je ne suis pas libre.

Il pourra s’agir aussi de tester l’applicabilité d’une hypothèse :

Animateur : Tu suggères que les phrases affirmatives commençant par le mot « tout » ne peuvent pas être renversées.  Tu aurais un exemple permettant d’appuyer ton hypothèse?

Marie : Si je dis que «Tous les érables sont des arbres» et que je renverse la première et la deuxième partie en disant «Tous les arbres sont des érables», on sait bien que la deuxième phrase est fausse.

Animateur : Mais tu disais qu’on ne pouvait pas renverser une phrase commençant par le mot « tout ».  Pourtant, dans ton exemple, tu as bel et bien renversé cette phrase.

Marie : En fait, ce que je voulais dire, c’est qu’on ne peut pas renverser une phrase commençant par le mot « tout » et obtenir une autre vérité… La phrase renversée sera toujours fausse.

Olivier:  La phrase renversée ne sera pas toujours fausse.  J’ai un exemple : si je dis que tous les ventres sont des bedaines, je peux aussi dire que toutes les bedaines sont des ventres.  Cette phrase est encore vraie.

Marie : C’est pas pareil. Dans ton exemple, la première phrase contient des synonymes…

Il pourra s’agir de faire voir, par une chose semblable et plus connue, ce qui semble plus ou moins obscur aux yeux de certains :

Gabriel : Je pense que le temps n’existe pas, que c’est seulement un mot.

Animateur : Tu aurais un exemple de quelque chose qui n’existe pas, qui n’est qu’un mot?

Gabriel : Oui, prenons l’exemple de la Licorne. Ça n’existe pas une licorne, c’est seulement un mot.

Caroline : Es-tu en train de dire, Gabriel, que le temps est seulement dans notre imagination, comme pour la licorne?

Gabriel : Oui c’est ça, le temps existe seulement dans notre pensée, comme pour la licorne.

Animateur : Mais si quelque chose existe seulement dans notre pensée, est-ce que cela veut dire que cette chose n’existe pas pour de «vrai»?

Justine :     Elle existe vraiment dans notre pensée.

Animateur : Qu’est-ce que ça veut dire exister vraiment dans notre pensée?  Tu pourrais nous donner un autre exemple de quelque chose qui existe vraiment dans notre pensée?

Pierre : Je crois pouvoir aider Justine.  Prenons les nombres 1, 2, 3 etc.   Ils n’existent pas vraiment en dehors de notre pensée… Je n’ai jamais vu un nombre marcher dans la classe… Mais ils existent vraiment dans notre pensée et, grâce à eux, on peut faire des mathématiques…

Demander des exemples est souvent utile.  Cela peut toutefois devenir ennuyant si la seule chose qui se produit dans une communauté de recherche consiste à citer des cas ou des exemples… Il importe, en effet, que ces exemples soient mis en rapport avec quelque chose de plus général qu’eux.  Dès lors, les exemples viendront appuyer la recherche et permettront aux participants de la communauté de recherche d’avancer dans leur enquête.

6- Éliminer certaines questions qui semblent difficilement utilisables

Il arrive parfois qu’au terme de la cueillette de questions, des personnes soit tentées d’éliminer certaines questions parce qu’elles estiment que ces dernières ne permettront pas de s’engager dans une discussion qui sera véritablement philosophique.  Par exemple, si un enfant pose la question : «Quel est le nom de l’auteur du livre ?»  ou: «Quelle est la couleur des yeux de tel ou tel personnage ?», il se peut que l’on soit tenté de dire : «Le nom de l’auteur est sur la couverture du bouquin», ou : «Rien ne dit dans le texte (si tel est le cas) quelle est la couleur des yeux de tel ou tel personnage.»

Mais, avant de rejeter ces questions, il serait bon de se demander dans quelle mesure elles peuvent tout de même être le point de départ d’une enquête qui, bien menée, deviendra de plus en plus philosophique et complexe.  Reprenons le cas du nom de l’auteur du livre et examinons comment une discussion animée par une personne qui a le souci de soulever des dimensions philosophiques peut être extrêmement riche.

Premier scénario :

Caroline : Quel est le nom de l’auteur du livre que nous lisons ?

Éric : Tu n’as qu’à regarder sur la page couverture !  C’est écrit : N. Côté.

Animatrice : Voilà qui semble répondre à ta question, Caroline.

Caroline : Oui !  Ça va !  Merci !

Animatrice : Bon passons à une autre question.

Second scénario :

Caroline : Quel est le nom de l’auteur du livre que nous lisons ?

Éric : Tu n’as qu’à regarder sur la page couverture !  C’est écrit : N. Côté.

Animatrice : Voilà qui semble répondre à ta question, Caroline.

Caroline : Oui !  Ça va !  Merci !

Animatrice : Bon, même si ta question ne semble pas soulever trop de problème, elle pourrait quand même être le point de départ d’une recherche vraiment intéressante.

Caroline : Ah bon ?

Animatrice : Oui, par exemple : nous avons trouvé que l’auteur du livre s’appelle N. Côté.  Mais, sommes-nous certain que cette personne est l’auteure du livre ?

Éric :  Ben c’est écrit sur la couverture !  Si on ne peut pas se fier à cela, je ne vois pas à quoi on pourrait se fier.

Andrée : Éric a raison.  Ça se peut que le nom sur la couverture ne soit pas le nom de l’auteur, mais c’est tout ce que nous avons pour l’instant.

Éric : Comment ça, pas le nom de l’auteur ?

Andrée :  Ben, il se peut que l’auteur ait pris un faux nom, un nom d’écrivain.

Rémy : Que ce soit un nom d’écrivain ou son nom à la naissance, c’est un vrai nom !

Animatrice : Veux-tu dire, Rémy, que peu importe le nom que  nous utilisons, c’est toujours un vrai nom ?

Rémy : Oui, c’est ça !  Ça n’existe pas, des faux noms.  Tous les noms que nous avons sont de vrais noms.

Caroline : Et que fais-tu quand tu utilises le nom d’une autre personne pour voler par exemple ?  Tu dirais que c’est un vrai nom ?

….

On le voit, dans ce deuxième dialogue, la question de Caroline devient le point de départ d’une enquête à saveur épistémologique qui conduira peut-être les enfants à faire certaines distinctions entre ce qui est considéré vrai et faux.  Passer outre une question parce qu’elle ne semble pas répondre à certains critères qui seraient propres aux questions dites philosophiques (question générale, qui ne porte pas sur des faits, qui ne peut se répondre par oui ou non, etc.) n’est pas suggéré, et certainement pas prescrite, dans une démarche philosophique en communauté de recherche.  Car, si la question posée par un enfant semble trop concrète, il ne faut pas oublier qu’elle est le point de départ du processus, pas le point d’arrivée.  En tant que point de départ, elle peut sembler anodine. Mais un animateur soucieux de conduire les enfants à entrevoir les dimensions philosophiques reliées à leurs questions (ou à des questions connexes à leurs questions) aura tôt fait de susciter l’étonnement en invitant les enfants à voir qu’une question, en apparence toute simple et pour laquelle, par exemple, il est possible de répondre oui ou non, peut en fait devenir le point de départ d’une recherche philosophique très profonde.  Prenons un autre exemple :

Caroline : D’où les bébés viennent-ils ?

Éric : Du ventre des mamans !

Animatrice : Voilà une réponse claire à une question tout aussi claire !

Caroline : On dirait.  Mais en fait, ma question n’est pas de savoir d’où ils viennent physiquement.  Mais je ne sais pas comment l’exprimer.

Animatrice : Veux-tu savoir d’où vient la vie ?

Julie : Toute la vie ?  Ou juste la vie humaine ?

Caroline : En fait, je veux savoir : pourquoi il y a la vie ?

Voilà un autre exemple d’un dialogue qui aurait pu tourner court, n’eut été de la remarque de Caroline qui, prenant soin de préciser le sens de sa question, aura permis à la communauté d’aller vers une dimension mystérieuse de sa question.

7- Ne pas manipuler (donner l’impression qu’on sait la vérité ou qu’on cherche une réponse)

En philosophie pour les enfants, la tâche de l’animateur revient essentiellement à encourager les enfants à penser par et pour eux-mêmes. En ce sens, il devrait toujours adopter une attitude d’écoute, d’ouverture et de co-chercheur. L’animateur ne doit pas craindre de remettre en question ses propres conceptions ou les connaissances qu’il pense avoir.

Dans ce contexte, il paraît inapproprié d’agir et de questionner en laissant entendre que nous possédons la «vérité» ou connaissons avec certitude la réponse à une question. Il paraît évident également qu’en adoptant une telle attitude, nous ne favorisons pas l’expression de la diversité des opinions ou encore des idées nouvelles. D’ailleurs, face à de telles situations, les enfants ont tôt fait de comprendre qu’ils ne sont pas invités à penser par eux-mêmes et à construire pour eux-mêmes leurs propres représentations, mais bien à penser comme l’enseignant, ce qui est contraire à l’esprit d’ensemble de la pratique de la philosophie avec les enfants.

Mentionnons aussi que s’il semble préférable d’adopter une attitude de co-chercheur avec les enfants et d’accepter de remettre en question ses propres conceptions, c’est que nous croyons d’une part que c’est seulement de cette manière que les enfants pourront s’engager dans une pratique réflexive véritable leur permettant de développer significativement un ensemble d’habiletés et d’attitudes génériques. D’autre part, c’est que nous croyons que les «vérités», les valeurs, les conceptions, etc. sont appelées à changer selon les époques et les cultures. Or, si nous désirons développer chez les enfants les aptitudes dont ils auront besoin pour modifier et améliorer nos savoirs, nous devons leur permettre de co-construire dès maintenant leurs savoirs, leurs représentations, leurs valeurs…

Voici un exemple de situation où l’animateur donne l’impression de posséder la «vérité» et de demander aux enfants de trouver une réponse :

Animateur : Pouvez-vous me donner des exemples de races humaines?

Julie : Eh bien, il y a les Blancs, les Noirs, les Chinois et les Indiens.

Animateur :  Oui, c’est vrai! Quelqu’un d’autre veut donner des exemples?

Martin : Je m’interroge… La question que vous posez présuppose qu’il y a des races. Je me demande si dans le cas des êtres humains, c’est approprié de parler de races…

Animateur : Nous savons depuis longtemps qu’il y a des races d’humains. Nous les distinguons par la couleur de leur peau, leur religion, l’endroit où ils vivent…

Martin : J’ai plutôt le sentiment que ces critères ne sont pas solides et qu’il n’y a pas différentes races d’humains. Je pense que nous sommes tous des êtres semblables, et ce, peu importe notre couleur ou notre religion.

Animateur :     En fait, ce que tu veux dire, c’est que les humains font tous partie de la même espèce. Mais nous savons qu’il y a des races quand même, non?

8- Ne pas moraliser (transmettre sa morale aux enfants)

Il existe plusieurs dimensions à la recherche philosophique, dimensions qui souvent, correspondent aux différentes sous-disciplines de la philosophie. Parmi ces sous-disciplines, nous retrouvons l’éthique et la morale. Nous reconnaissons qu’une recherche s’organise à l’intérieur d’une perspective éthique ou morale par le fait que les jugements qui s’y rapportent sont formulés autour des critères du bien et du mal, ou du bon et du mauvais. Les thèmes touchant les relations sociales ou les valeurs sont également d’ordre moral et éthique. Par exemple, des concepts comme la violence, le vol, la générosité, la considération, la justice font partie de cette dimension. Ainsi, lorsque nous nous demandons s’il est bien de voler, s’il est toujours mal d’être violent, s’il est toujours bien d’être généreux, etc., nous envisageons un problème sous l’angle éthique ou moral.  (Notons que dans le cadre de cette présentation, nous ne jugeons pas approprié de dessiner des distinctions entre éthique et morale.)

Le mandat général de formation à la citoyenneté dont sont investis les enseignants les poussent parfois, dans un contexte de réflexion philosophique en communauté de recherche, à transmettre leur (ou notre) morale aux enfants lorsque les questions discutées touchent de près ou de loin aux critères de bien/mal, bon/mauvais. Cette attitude n’est pas nécessairement inadéquate en elle-même, mais dans le cadre d’une CRP, où l’objectif central est d’inviter les enfants à penser par et pour eux-mêmes, elle semble moins appropriée. En fait, qu’il soit question des savoirs, des croyances, des valeurs ou de la morale, l’idée est la suivante : permettre aux enfants de construire ensemble leurs représentations, leurs valeurs, leur morale en faisant appel aux outils de la raison.

Nous croyons qu’il est plus qu’important de faire confiance au groupe et à la qualité des réflexions qui se dessinent à l’intérieur d’un dialogue argumenté. Si nous désirons former des individus raisonnables, il semble précieux de les inviter à s’engager par et pour eux-mêmes dans l’établissement de jugements qui répondent à ce critère. Nous sommes d’avis que si nous proposons un cadre réflexif dans lequel les enfants sont invités à réfléchir logiquement et moralement sur des questions touchant l’éthique, s’ils le font par eux-mêmes et avec d’autres, il y a plus de chances pour qu’ils s’approprient de manière intrinsèque les jugements et les valeurs qui découleront de cet exercice.

N’oublions pas que la dimension morale en philosophie pour les enfants ne s’exprime pas uniquement à travers les pratiques réflexives qui s’y retrouvent, mais également par une pratique de la vie en communauté, ou plus particulièrement par la pratique du dialogue.

L’animateur dispose de plusieurs outils lorsqu’il désire inviter les enfants à raisonner sur des questions éthiques. Il peut utiliser les instruments de la logique en leur demandant, par exemple, de fournir des raisons ou des critères, de dégager des conséquences, de trouver des contre-exemples ou des alternatives, de varier les contextes…

Le questionnement est sans contredit un outil précieux dans cette situation. Certaines questions générales peuvent contribuer à encourager la réflexion éthique sans moraliser. En voici quelques exemples :

Crois-tu qu’il est bien (ou mal) de penser ainsi?

Y a -t-il des occasions où il est mal (ou mauvais) de penser (ou d’agir) ainsi?

Sur quels critères nous basons-nous pour affirmer que ________ est une bonne (ou une mauvaise) chose?

Si toutes les personnes agissaient ainsi, quelles seraient les conséquences?

En utilisant la forme interrogative, il devient même possible de présenter ses propres conceptions sans moraliser pour autant. Il suffit parfois de formuler autrement ses idées. Par exemple, plutôt que de dire «Non, il est certainement mal de voler!», l’animateur pourrait dire «Pensez-vous qu’il est mal de voler?». Il faut prendre garde cependant de ne pas transmettre sa morale en les cachant derrière des questions. Ainsi, il pourrait être préférable de prendre une formulation plus «neutre» ou impersonnelle, de manière à inciter les enfants à réfléchir par eux-mêmes. Par exemple, l’animateur pourrait dire «Certaines personnes pensent qu’il est toujours mal de voler. Qu’en pensez-vous?».

Bref, il semble préférable d’inviter les enfants à bien penser sur les questions morales, plutôt que de penser ces questions pour eux, en estimant le faire pour leur bien…

9- Initier les enfants aux outils de la recherche

La communauté de recherche philosophique (CRP) est un environnement où se met en route une série d’habiletés de pensée, d’attitudes, de stratégies et de compétences. L’ensemble de ces éléments, qu’ils soient relatifs à l’univers social ou aux instruments de la logique, constitue autant d’outils de la recherche. Par outils de la recherche, nous entendons tout ce qui contribue, directement ou indirectement, à nous faire progresser dans notre investigation. L’animateur devrait avoir une bonne connaissance de ces outils. Il devient alors plus simple de les présenter de manière significative aux enfants.

Initier les enfants aux outils de la recherche, c’est leur permettre de mieux comprendre ce qu’ils font lorsqu’ils s’engagent dans un tel processus. C’est leur permettre également de nommer ce qu’ils font au moment où ils le font et d’utiliser délibérément ces outils. Ainsi, il leur est plus facile de s’approprier non seulement ces divers outils, mais aussi les processus de recherche dans leur ensemble. Lorsque les enfants bénéficient d’un contexte dans lequel ils apprennent à centrer leur attention sur les outils de la recherche, nous leur permettons de développer leur aptitude à mobiliser ces outils, ce qui nous engage d’emblée dans la voie du développement des compétences.

En philosophie pour les enfants, il y a deux principaux moyens qui sont utilisés pour initier les participants aux outils de la recherche : le recours à des observateurs et la discussion elle-même. Certains animateurs demandent à quelques participants d’observer les autres lors de la discussion. Ils leur demandent alors d’orienter leur observation en fonction de critères précis. Ces critères correspondent pour la plupart à des outils de la recherche et sont de différents ordres. Ainsi, nous pourrions leur demander d’observer si les gens se respectent, s’ils formulent des hypothèses, s’ils cherchent des exemples ou donnent des raisons… Les enfants placés dans cette situation prennent donc le temps de se familiariser avec le rôle d’observateur, tout en accordant du temps à identifier et à réfléchir sur des éléments essentiels des processus de recherche.

La discussion est également un terreau fertile pour initier les enfants aux outils de la recherche. Nous pourrions, par exemple, inviter les participants à réfléchir, lorsque la situation s’y prête ou lorsque les enfants eux-mêmes manifestent un tel intérêt, aux différentes conditions favorisant la réalisation d’une recherche en commun. Nous pourrions leur demander quel pourrait être le rôle des exemples ou des raisons dans une discussion, ou encore comment nous devrions nous y prendre pour répondre à notre question de départ… Nous pourrions également, au moment où s’effectue le dialogue sur un sujet quelconque, mettre l’accent sur certains outils en posant des questions. Par exemple, nous pourrions demander aux enfants de trouver un exemple, de fournir une raison ou de faire une analogie.

L’animateur peut également souligner l’utilisation d’un outil de la recherche lorsqu’il se présente. Il peut intervenir en disant, par exemple : «Tu donnes cette raison pour justifier ton idée, que pensez-vous de cette raison?»; «Tu viens de fournir un exemple, quelqu’un d’autre aurait un exemple pour illustrer ceci?»; «L’analogie que tu viens de faire est intéressante, comment pourrions-nous l’interpréter?»; «Tu viens d’intégrer une bonne partie des propos de Julien sur ce sujet, avais-tu pensé à cette question de cette manière avant?»; «Tu penses que ceci est une conséquence de cela?», etc.

En initiant les enfants aux outils de la recherche, nous visons essentiellement à leur donner l’occasion de se les approprier et, le cas échéant, de les mobiliser par et pour eux-mêmes à l’intérieur de différents contextes.

 

10- Questionner méthodiquement en utilisant un plan de discussion ou un exercice

Les romans utilisés en philosophie pour les enfants sont un bon point de départ pour stimuler le questionnement chez les enfants. Toutefois, puisqu’il s’agit d’inviter les enfants à faire de la philosophie, l’enseignant dispose d’un guide pédagogique qui lui permettra d’introduire, le moment venu, une série d’activités (plans de discussion, exercices, activités) qui permettront aux enfants d’aller encore plus loin dans leur investigation philosophique. Conçus par des philosophes, ces activités s’appuient sur la tradition philosophique et reprennent, en somme, les grandes questions inscrites dans cette tradition. Par la diversité des moyens qu’ils contiennent, les guides permettent d’inviter les enfants à considérer différentes perspectives issues de l’histoire de la philosophie. Utilisés de manière judicieuse, ces guides offrent à l’enseignant la possibilité d’inviter les enfants à examiner rigoureusement des pistes de réflexions entourant les idées directrices que contiennent les différents romans. De cette façon, les enfants sont conduits à entrevoir des idées fondamentales qui ont fait l’objet des réflexions des philosophes au cours des siècles.

Voici une présentation sommaire du contenu des guides.

I- Les idées directrices présentées dans le guide donnent un aperçu de la trame philosophique contenue dans le roman. Susceptibles d’être questionnées par les enfants, ces idées conduisent à la pratique d’un ensemble d’activités.

II- La plupart des idées directrices sont d’abord introduites au moyen d’un petit texte de présentation. Celui-ci contient parfois des pistes de recherches, des questions, des positions ayant trait à l’idée directrice… Il ne vise pas à fournir un savoir à dispenser, mais plutôt une réflexion à poursuivre. Voici un exemple touchant l’idée directrice du plaisir (tiré du guide pédagogique : Le fil de Romane) :

Le plaisir pourrait être défini comme un sentiment agréable causé par les sens, le divertissement, voire même par les actes et les pensées… De manière générale nous pourrions dire du plaisir qu’il est au fondement même de l’existence, ou pour mieux dire, de l’agir, puisque, selon toute vraisemblance, l’ensemble des vivants cherche le plaisir et fuit la douleur (ce qui serait valable même en ce qui concerne la masochistes : par la douleur, ils recherchent le plaisir). Mais pourquoi en est-il ainsi ? Tentons une hypothèse. La raison semble être que, d’un point de vue davantage psychologique, le plaisir procure à celui qui y prend part une absence de trouble, une certaine forme de repos, que ce soit sensoriel ou intellectuel, intérieur ou extérieur (certains associant même le plaisir à l’idée de liberté)…

S’adressant d’abord à l’enseignant-e, ce petit texte devrait, en somme, fournir quelques éléments pouvant alimenter la réflexion concernant l’idée directrice lors des discussions en communauté.

III- L’idée directrice peut être mise en route par l’utilisation d’un exercice. Ce dernier, introduit au bon moment, invite parfois les enfants à dire s’ils sont d’accord ou non avec certaines situations ou énoncés fictifs. Par exemple:

Exercice : Le plaisir

Parmi les choses suivantes, lesquelles vous font plaisir ? Dites pourquoi vous pensez ainsi.

Me fait plaisir/ Ne me fait pas plaisir/ ?

1. Lorsque vous vous levez le matin et qu’il fait un temps radieux.

2. Lorsque vous avez de la peine.

3. Lorsqu’une personne vous fait un cadeau.

4. Lorsqu’une personne vous fait un cadeau que vous n’aimez pas.

5. …

Invités à juger de leur propre jugement, les enfants doivent dire pourquoi ils sont en accord ou non avec les énoncés proposés. Dans ce cas-ci, ils doivent dire pourquoi les situations décrites leur font ou non plaisir. Dans la plupart des cas, ils peuvent répondre qu’ils ne savent pas (le point d’interrogation) et demander de l’aide.

IV- Certains exercices mettent l’accent sur la pratique d’une habileté de pensée particulière en lien avec l’idée directrice. Dans le cas retenu, il s’agit de pratiquer le raisonnement analogique.

Exercice : Le plaisir

A. Quelle appréciation faites-vous des analogies suivantes ?

1. Le plaisir est au déplaisir ce que la violence est à la paix.

2. Le plaisir est à la joie ce que la peine est à la tristesse.

3. Le plaisir est à l’amour ce que le déplaisir est à la haine.

4. Le plaisir est à être bien ce que le déplaisir est à être mal.

5. Le plaisir est à _________ ce que __________ est à __________ .

6. …

Le champ des habiletés cognitives est immense : habiletés à raisonner, à rechercher, à analyser des idées, à communiquer. L’ensemble des exercices contenus dans les guides devrait permettre d’aborder bon nombre de ces habiletés en les pratiquant de manière précise et spécifique.

V- Des plans de discussion permettent aux enfants de préciser, d’analyser, de définir, bref, de réfléchir aux concepts que sous-tend l’idée directrice. En les mettant en lien avec différents critères issus de la tradition philosophique, ces plans ouvrent la voie vers une investigation riche en rebondissements.

Plan de discussion : Le plaisir

1. Y a-t-il des choses qui vous font plus plaisir que d’autres ? Donnez des exemples et dites pourquoi vous pensez ainsi.

2. Y a-t-il des choses qui vous font autant plaisir que d’autres ? Donnez des exemples et dites pourquoi vous pensez ainsi.

3. Y a-t-il des choses qui ne vous font pas du tout plaisir ? Donnez des exemples et dites pourquoi vous pensez ainsi.

4. Pensez-vous qu’une chose nous fait plaisir parce qu’on l’aime, ou est-ce parce qu’on aime cette chose qu’elle nous fait plaisir ? Pourquoi ?

5. Pensez-vous qu’une personne nous fait plaisir parce qu’on l’aime, ou est-ce parce qu’on aime cette personne qu’elle nous fait plaisir ? Pourquoi ?

6. …

Les expériences quotidiennes sont nombreuses et diversifiées. Les plans de discussion devraient donner l’occasion aux enfants de scruter cette diversité en mettant l’accent sur les dimensions philosophiques qui les caractérisent.

De plus, l’utilisation d’un tel plan de discussion peut s’avérer fort utile au moment d’animer une discussion philosophique, car il peut être l’occasion d’inviter les enfants à dépasser les limites de leur curiosité en les conduisant à entrevoir d’autres aspects du problème qu’ils sont en train d’investiguer. Si les enfants aiment poser des questions, il n’est pas certain qu’ils aient toujours à leur disposition tous les moyens pour entrevoir les différents aspects du problème qu’ils traitent dans le cadre de leur recherche. Le plan de discussion, dans ce contexte, devient une sorte de carte routière permettant aux enfants d’entrevoir la richesse des avenues philosophiques que suppose leur investigation.

Prenons un exemple. Supposons que le sujet à l’ordre du jour soit une question touchant la parole. Marie, après avoir lu tel ou tel chapitre d’une histoire, pose la question : Pourquoi certaines personnes ne parlent pas? Après quelques tentatives visant à identifier les causes du silence de certains (tentatives qui pourraient faire appel à des causes de nature psychologique : on ne parle pas parce qu’on a peur, parce qu’on manque de courage, parce que le sujet ne nous intéresse pas, parce qu’on a rien à dire, parce qu’on a peu d’estime de soi-même, etc.), il est possible qu’un enfant en vienne à dire : moi, je pense que certaines personnes ne parlent pas parce qu’elles aiment le silence, tout simplement. Ce pourrait être l’occasion, alors, d’introduire un plan de discussion sur le silence, afin d’examiner un certain nombre d’aspects reliés à ce phénomène et, peu à peu, tenter de définir celui-ci en tenant compte de différents aspects. Ce plan de discussion pourrait contenir les questions suivantes (adapté d’un plan de discussion tiré du guide pédagogique : À la recherche du sens) :

– Y a-t-il des silences qui veulent dire quelque chose?

– Y a-t-il des silences qui sont plus parlants que des paroles?

– Y a-t-il des silences qui ne veulent rien dire?

– Y a-t-il des silences qui peuvent nous effrayer?

– Y a-t-il des silences qui sont beaux?

– Y a-t-il des silences qui font du bien?

– Les silences peuvent-ils contenir des mensonges?

– Les silences peuvent-ils contenir des vérités?

– Si personne ne dit rien, est-ce que cela veut dire que la pièce est silencieuse?

– Une personne muette est-elle toujours silencieuse?

– Le silence est-il le contraire du bruit?

– Si tout était silencieux, comment pourrait-on dire que le silence existe?

– Le silence est-il quelque chose ou rien du tout?

Chacune de ces questions permet aux enfants d’envisager le silence sous un angle différent : esthétique (Y a-t-il des silences qui sont beaux?), éthique (Les silences peuvent-ils contenir des mensonges?), voire métaphysique (Le silence est-il quelque chose ou rien du tout?). En procédant systématiquement avec un tel plan de discussion, les enfants sont invités à dépasser leurs premières interrogations et à envisager la question du silence sous l’éclairage des interrogations provenant de la philosophie (et des philosophes qui, dans l’histoire, ont pris le temps de poser ces mêmes questions). Comme on peut le constater, encore une fois, les plans de discussion n’ont pas pour mandat de conduire les enfants vers des réponses qu’on attend d’eux, mais vers des questions leur permettant de découvrir de plus en plus, et de mieux en mieux, la richesse de leur expérience quotidienne. Fois après fois, ils seront invités à entrevoir que les concepts qu’ils abordent dans le cadre de leur recherche sont multidimensionnels, en ce sens qu’ils comportent une dimension éthique, esthétique, logique, métaphysique, etc. Plus on pourra conduire les enfants à entrevoir cette multiplicité de dimensions, plus ils pourront, par et pour eux-mêmes, entrevoir que leur vie est riche de sens et que tout examen approfondi de celle-ci ne saurait se limiter à l’un ou l’autre des aspects initiant leur enquête.

On ne saurait trop insister sur l’importance d’utiliser les plans de discussion contenus dans le guide d’accompagnement, pour autant que ces derniers soient appropriés au sujet de discussion. Les plans de discussion ne sont pas des fins en soi, mais des moyens permettant d’alimenter l’enquête. Leur utilisation suppose donc une part de jugement de l’animateur qui saura reconnaître le bon moment pour les introduire ou qui saura expliquer les raisons pour lesquelles il introduit tel ou tel plan de discussion à tel ou tel moment.

VI- À l’occasion, des activités permettent aux enfants de varier les façons de s’engager dans la recherche philosophique que l’idée directrice peut soulever.

Activité : Le plaisir (seul ou en groupe)

Demander aux enfants d’imaginer une activité (une sortie, un sport, aller au cinéma, etc.) qui leur ferait très plaisir et de dire aux autres, pour ceux qui le veulent, la nature de cette activité.

Demander aux enfants de faire une liste au tableau de toutes les activités décrites en les regroupant selon qu’il s’agit d’une activité qui se pratique seul ou en groupe.

Envisager avec les enfants les questions suivantes :

1- A-t-on plus de plaisir seul ou en groupe?

2- Certaines activités qui se font seul seraient-elles plus plaisantes à faire si on les faisait en groupe? Pourquoi?

3- Certaines activités qui se font en groupe seraient-elles plus plaisantes à faire si on les faisait seul? Pourquoi?

4- …

Ces activités sont diverses: mini-pièce de théâtre, chant, jeu, dessin, atelier… Elles invitent les enfants, notamment, à faire preuve de créativité et à utiliser leur corps par-delà la parole.

Il revient à l’animateur de juger quel est le plan de discussion, l’exercice, l’activité qui pourrait être introduit lors de la discussion, tout autant que le moment de cette introduction. Dans tous les cas, il importe que ces outils soient mis au service des enfants engagés dans l’acte d’apprendre à penser par et pour eux-mêmes. Ainsi, il serait inadéquat d’envisager utiliser l’un ou l’autre des outils dans le guide en ayant comme seul objectif d’utiliser le guide, quel que soit le contexte. Parfois, il est préférable de mettre le guide de côté. Mais, dans l’ensemble, l’utilisation adéquate du guide devrait favoriser non seulement une meilleure appropriation des outils cognitifs qu’il permet de pratiquer, mais aussi une ouverture au caractère multidimensionnel de l’expérience humaine.

11- Poser des questions qui font avancer

Dans une pédagogie du questionnement, comme cela est le cas en philosophie pour les enfants, le fait de poser une question revêt une importance capitale.  La question joue le rôle d’une lampe de poche pour explorer les zones obscures de l’ignorance. Elle conduit à formuler plus clairement un problème, elle est parfois le point de départ de la recherche. La question permet aussi d’avancer sur certaines pistes ou de diriger l’attention sur certains aspects d’un problème sans qu’il soit nécessaire de prendre position quant à la solution. La pensée manifeste qu’il y a quelque chose d’important sans prendre parti, elle suspend son jugement. Remarquez la différence entre la réplique catégorique de Paul et l’interrogation de Julie.

Ginette : Il y a des occasions où l’on ne devrait pas rire parce que la situation est plutôt dramatique mais c’est plus fort que nous.

Pierre : Parfois, on rit nerveusement parce que l’on veut détendre l’atmosphère.

Jean : Je me demande quel est le contraire du rire ?

Paul : D’après moi, c’est la colère.

Julie : Et qu’en est-il de la tristesse ?

Dans une communauté de recherche, l’enseignant a un rôle déterminant à jouer en regard du questionnement. Parfois, certaines questions ont l’effet d’un tremplin pour le développement de la recherche.  En fait, toutes les questions qui entraînent la recherche d’une raison (pourquoi dis-tu cela?), d’un présupposé (ce que tu dis sous-entend-il que…?), des fondements de nos connaissances (comment sais-tu que ceci est cela?), de la certitude de nos connaissances (comment peux-tu être certain de ce que tu avances?), d’une définition (quel est le sens du mot que tu emploies?) sont des questions qui permettent de faire évoluer le dialogue, la recherche.  Ces questions devraient faire partie du coffre d’outils de l’animateur et devenir peu à peu la propriété des enfants.  Une communauté de recherche en santé sera celle où l’on entendra de plus en plus ce genre de questions.

Certains aiment faire la distinction entre des questions ouvertes et des questions fermées en définissant ces dernières comme étant des questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non. Cette distinction est peut-être utile dans certains contextes, mais dans le cas d’une communauté de recherche, elle ne présente guère d’intérêt car toutes les questions peuvent faire l’objet d’une investigation plus approfondie, même si elles semblent, a priori, être des questions fermées.  Voici un dialogue qui montre bien cet aspect.

Animatrice : Dans l’exercice suivant, on vous demande si vous êtes ou non d’accord avec les énoncés.  Numéro 1 : Je suis libre si je peux faire ce que je veux.  D’accord ou non?

Renée : Je ne suis pas d’accord. (Remarquez que Renée vient de répondre à la question comme si cette dernière avait été posée de la façon suivante : es-tu d’accord, oui ou non, avec l’affirmation qui dit que tu es libre si tu peux faire ce que tu veux?  En répondant qu’elle n’est pas d’accord, Renée est en train, en fait, de dire : non!)

Animatrice : Pourquoi es-tu en désaccord avec cet énoncé?

Renée : Parce que même si je fais ce que je veux, je pourrais enlever la liberté à d’autres qui eux, à leur tour, voudront m’enlever ma liberté.  Je suis peut-être libre au moment où je le fais, mais cela ne durera pas très longtemps.

Olivier : Alors, tu es d’accord avec l’énoncé? (Olivier pose une question à laquelle on semble pouvoir répondre par oui ou non.)

Renée : Oui et non.  Je suis d’accord si on ne tient pas compte des conséquences. Mais je suis en désaccord si on tient compte des conséquences.

Animatrice : Crois-tu, Olivier, que les conséquences doivent être considérées pour dire que nous sommes libres? (Encore une fois, l’animatrice pose une question qui semble fermée : Oliver pourrait répondre par oui ou par non. Voyons ce qu’il va dire…)

Olivier : Je pense que Renée a raison et qu’on doit considérer les conséquences avant de dire si nous sommes libres.  Avant qu’elle n’intervienne, j’étais certain que j’étais libre si je pouvais faire ce que je voulais… mais maintenant je pense que je vais changer d’avis.

12- Reformuler les propos des enfants

L’animateur a plusieurs fonctions dans une communauté de recherche.  D’une certaine manière, ces fonctions se ramènent toutes à aider les enfants à construire la communauté de recherche et les savoirs (savoir, savoir-faire, savoir-être) qui s’y rapportent.  Or, pour y arriver, l’animateur pourra, à l’occasion, tenter de reformuler, de dire en des mots semblables, les propos des enfants afin de vérifier un certain nombre de choses. Ainsi, il pourra procéder à une reformulation («Est-ce que je me trompe en pensant que ce que tu dis pourrait se dire de la façon suivante?») afin de vérifier si l’enfant a bien voulu dire telle ou telle chose, si les enfants ont saisi la subtilité d’un propos d’un autre enfant, si les enfants étaient en train de formuler un argument ou simplement un exemple… Les raisons de reformuler sont nombreuses.

Si la reformulation est parfois très utile pour mettre l’accent sur un aspect de la recherche qui semble important, elle peut aussi être très dangereuse si elle devient l’occasion, pour l’animateur, d’introduire ce qu’il pense sans vraiment tenir compte des propos formulés par un enfant.  En d’autres termes, la reformulation ne devrait jamais être l’occasion, pour l’animateur, d’introduire ce qu’il estime vrai.  Le mandat de l’animateur n’est pas de diriger les enfants vers une réponse attendue, mais de les conduire vers des chemins permettant une investigation de plus en plus large du problème qui est traité.  En outre, une reformulation qui ne serait pas fidèle à l’esprit des propos tenus par les enfants pourrait conduire ces derniers à penser que, peu importe ce qu’ils diront, ce sera finalement à l’animateur de décider si leurs propos sont ou non pertinents.  Ainsi, l’intention qui sous-tend la reformulation est tout aussi importante que les habiletés qu’elle nécessite.

Julie : Je pense que les races n’existent pas. Les Chinois sont aussi des êtres humains.

Animatrice : Es-tu en train de dire que les races n’existent pas parce que les Chinois sont aussi des humains?

Julie : Oui, c’est ça… les races n’existent pas parce que les Chinois sont aussi des êtres humains.

Marc : Je ne suis pas d’accord avec Julie.  Les races existent même si les Chinois sont des êtres humains.

Animatrice : Veux-tu dire, Marc, que le fait que les Chinois sont des êtres humains ne prouve pas que les races n’existent pas?

Marc :  Je veux dire que les races et le fait qu’on soit des humains n’a rien à voir.

Animatrice : Quand tu dis : rien à voir, veux-tu dire qu’il n’existe pas de lien entre la notion de race et celle d’humain?

Marc : Oui c’est ça!  Même s’il n’existe pas de race chez les humains, il y en existe en ce qui concerne les chiens.

Julie : Mais moi je parlais des humains.

Animatrice : Julie, veux-tu dire que tu parlais seulement des humains?

Dans ce dialogue, l’animatrice a le souci de reformuler les propos des enfants en demandant si ces derniers ont bien voulu dire telle ou telle chose.  C’est une manière de faire très adroite, car non seulement elle permet de clarifier le propos, mais elle invite les enfants à poursuivre la recherche en s’engageant dans la pratique d’une série d’outils cognitifs très utiles pour quiconque désire de plus en plus et de mieux en mieux donner du sens à son expérience.  Ainsi, loin de vouloir conduire les enfants vers une position qui serait la sienne, l’animatrice donne plutôt aux enfants la possibilité d’approfondir leurs points de vue et d’arriver éventuellement à un jugement (dans ce cas-ci concernant les races) qui sera le produit de leur recherche.  Idéalement, les questions de l’animateur feront peu à peu partie du bagage de questions que les enfants pourront eux-mêmes introduire dans la discussion.

13- Contribuer au renforcement de la communauté de recherche

La création d’une communauté de recherche philosophique (CRP) est d’abord un projet, et comme tout projet, elle demande du temps pour se réaliser pleinement. Autrement dit, la construction d’une CRP est un processus : il n’y a pas de CRP spontanée et qui réponde instantanément au modèle idéal que nous en avons. C’est pourquoi d’ailleurs la création d’une CRP, en fournissant des conditions favorisant le développement de connaissances, d’habiletés et d’attitudes, est un projet éducatif au départ. Par ailleurs, si la création d’une CRP est avant tout un projet, l’agent principal de cette création est, dans les premiers moments du moins, l’animateur. C’est à lui que revient d’abord le mandat de favoriser le renforcement de la communauté de recherche, puisqu’il a en tête les modalités de cette création.

Nous pourrions dire que l’animateur d’une CRP peut contribuer au renforcement de la communauté de recherche sur au moins deux plans : le plan intellectuel ainsi que le plan social. Il va sans dire que pour chacun de ces plans, l’animateur dispose de différents moyens pour favoriser un tel renforcement. Sur le plan intellectuel, le renforcement s’effectue notamment au niveau de la coconstruction des idées. En ce sens, l’animateur peut tenter de créer des conditions dans lesquelles les participants de la CRP sentiront qu’ils sont engagés collectivement à la production d’un savoir. De sorte que les enfants seront conduits à mobiliser ainsi qu’à développer leurs capacités cognitives par le biais de l’évaluation critique des énoncés et des informations, et non en critiquant les personnes qui émettent ces propositions.

C’est cependant sur le plan social que l’animateur est appelé à contribuer le plus au renforcement de la CRP. En fait, les dispositions intellectuelles de la recherche en commun sont intimement liées aux dispositions sociales (et morales). La recherche philosophique en communauté implique d’accepter de s’engager dans une recherche de «vérités», où chaque idée est accueillie et traitée de façon équivalente, où tous tentent de déterminer ce qu’il y a lieu de croire ou de faire et où chacun envisage l’auto-correction comme un moyen de progresser dans les apprentissages. Ce processus de recherche demande nécessairement des rapports humains solides dans lesquels chaque participant sait qu’il peut contribuer au projet commun et que ce sont ses propositions, et non lui-même en tant que personne, qui seront soumises au crible de la réflexion critique.

En ce sens, l’animateur peut contribuer à faire voir que chaque idée est importante, que les participants ont à travailler ensemble pour construire leurs savoirs, que tous doivent développer une attitude particulière face aux énoncés et aux autres participants, que chacun est considéré dans sa différence en tant que moteur de la recherche… Cette tâche est complexe et multiforme, certes, mais non moins importante, puisque l’idée de communauté est au centre de la pratique de la philosophie avec les enfants.

La plupart du temps, c’est à l’aide de questions générales et d’interventions-types (sans négliger pour autant l’attitude) que l’animateur contribue le plus au renforcement de la communauté de recherche. Voici quelques exemples de questions et d’interventions qui vont dans le sens de cet élément :

– Nous avons ici deux positions différentes. Pensez-vous qu’il est possible d’interpréter cette question de plusieurs façons?

– Quelqu’un veut-il aider _________ à définir ce mot?

– Quelqu’un a-t-il un exemple qui permettrait d’illustrer le point de vue de _________ ?

– Tu peux lui adresser directement ta question.

–  Quelqu’un veut-il aider _________ ?

–  En quoi ce que tu dis ressemble-t-il (ou diffère-t-il) de ce que _________ a dit?

–  Est-ce que quelqu’un a compris l’idée de ________ ?

–  Tu es très bon habituellement pour faire des analogies, pourrais-tu en formuler une sur ce sujet?

–  Comment pourrions-nous concilier les idées de ________ et de __________ ?

14- Savoir intervenir dans une juste mesure

La tâche de l’animateur d’une communauté de recherche philosophique (CRP), bien qu’elle soit fort différente d’un enseignement de type traditionnel, n’est pas pour autant moins importante ni moins complexe. L’animateur d’une CRP a un rôle central à jouer dans la recherche, que ce soit sous l’angle de la modélisation ou de la manière dont il s’y prendra, par les questions qu’il pose, pour faire progresser les réflexions durant le dialogue.

Malgré le rôle inestimable que joue l’animateur dans la recherche philosophique, il n’en demeure pas moins que la place qu’il occupe dans le processus de construction commune doit être limitée. La raison principale en est qu’à l’intérieur d’une CRP, la majeure partie du temps de parole doit appartenir aux enfants. L’objectif est toujours le même : permettre aux enfants de s’engager dans un dialogue en groupe de manière à les inviter à penser par et pour eux-mêmes.

Si l’animateur parle trop, ce ne sont plus les enfants qui, par et pour eux-mêmes, s’engagent dans la pratique d’attitudes et d’habiletés de pensée. La sensibilité de l’animateur est donc un outil extrêmement précieux dans ce contexte. C’est par l’utilisation judicieuse du questionnement qu’il parviendra à favoriser la rencontre des divers points de vue, à faciliter les échanges, bref, à contribuer à mettre en place un contexte dans lequel les enfants sont invités à progresser dans leur recherche en formulant des jugements qui soient toujours plus nuancés et plus critiques.

Il n’est cependant pas toujours simple de savoir à partir de quel moment un animateur parle trop. Plusieurs critères peuvent venir guider un tel jugement. Celui du temps de parole peut sans doute contribuer à évaluer la place que prend un animateur dans la discussion. Ainsi, si c’est lui qui s’approprie la majorité du temps de parole, nous pouvons raisonnablement penser qu’il parle trop.

Par ailleurs, le temps de parole utilisé n’est pas le seul critère qui nous permet de déterminer en quoi un animateur parle trop ou non. Nous pouvons le voir également à travers l’utilisation qu’il fait du questionnement. En effet, cet outil principal de l’animateur peut être utilisé de manière à inviter les participants à pousser plus loin leur réflexion et ainsi contribuer à l’avancement de la recherche, comme il peut devenir un instrument qui, utilisé à outrance, crée un climat dans lequel les participants n’oseront plus prendre la parole, par peur de se faire «bombarder» de questions.  En effet, il arrive parfois que l’animateur, dans son désir louable d’aller aux fondements des idées, bombarde littéralement les participants de questions. Bien que le questionnement soit un outil extrêmement précieux dans une CRP, il doit être utilisé avec mesure. Poser trop de questions ne semble pas être plus formateur que de ne pas en poser du tout. Voici un exemple de situation dans laquelle l’animateur parle trop, via son utilisation du questionnement:

Marie : Je crois qu’il est important d’avoir des amis.

Animateur : Pourquoi?

Marie : Parce que je pense que c’est à travers l’amitié que nous arrivons à trouver le bonheur.

Animateur : Est-ce à dire alors que sans amis, il est impossible d’être heureux?

Marie : Je crois que oui!

Animateur :  Mais que fais-tu de l’amour?

Marie : Je crois que l’amitié fait partie de l’amour, alors je dirais la même chose à cet égard.

Animateur : Fais-tu une différence entre l’amour et l’amitié?

Marie : Oui, je pense que l’amour, c’est plus grand que l’amitié.

Animateur : En quoi est-ce que l’amour est plus grand, selon toi?

Marie : Je pense que les sentiments sont plus forts envers les personnes qu’on aime.

Animateur : Penses-tu que nous pouvons être amis sans être amoureux?

Marie : Je crois que oui.

Animateur : Penses-tu que nous pouvons être amoureux sans être amis?

Marie : Je ne crois pas non.

Animateur : Pourquoi?

Marie : Parce que je pense que l’amitié fait partie de l’amour.

Animateur : Alors, qu’est-ce que c’est pour toi l’amitié? Et l’amour?

Voilà beaucoup trop de questions adressées à une seule et même personne. Interpellée ainsi, il y a de fortes chances pour qu’elle croie que l’animateur cherche à la coincer ou à trouver une faille dans ses propos.

Le critère sur lequel nous pourrions nous baser pour évaluer dans quelle mesure l’animateur parle trop ou non est le suivant : ses interventions devraient permettre aux participants de disposer de suffisamment de temps et d’espace pour exprimer et développer leur pensée par et pour eux-mêmes, tout en leur donnant l’occasion de mobiliser par et pour eux-mêmes les outils de l’animation tels que le questionnement. L’idée étant que la majeure partie du temps alloué à la recherche et à la prise de parole devrait appartenir aux enfants, tout comme ils devraient avoir le temps de réfléchir et d’intervenir sur ce qu’un autre a pu dire.

___________________

Voici d’autres conduites qui pourraient être examinées de près au moment d’observer l’animation d’une communauté de recherche philosophique avec des enfants.

15. Déterminer un centre d’intérêt important

16. Ne pas tolérer des monologues non-pertinents

17. Mettre les enfants au défi de penser

18. Aider les enfants à découvrir les sous-entendus

19. Encourager à évaluer des raisons

20. Être engagé activement dans la recherche

21. Encourager à construire les idées à partir de celles des autres

22. Encourager les élèves à faire plus de recherche sur le sujet

23. Suivre l’intérêt des enfants

24. Permettre de faire des liens entre ce qui se passe en philo et d’autres disciplines

25. Expliquer un nouveau mot

26. Inciter les jeunes à s’engager dans des actes métacognitifs

27. Inciter les jeunes à dégager des thèmes

28. Encourager la considération des conséquences

29. Encourager à donner des critères

30. Encourager à devenir plus sensible au contexte

31. Encourager à l’auto-correction

32. Encourager la venue de la pensée créative

Un jour…

7 réponses

  1. Merci Michel pour cette synthèse temporaire des comportements, rôles et enjeux du poste d’animateur en CRP.
    J’ai un doute de compréhension sur une des questions possibles de la conduite n°1 (aider à définir) :
    « – Est-ce que ça prend _________ pour dire que c’est ________ ? (définir par critères) »

    C’est le verbe « prendre » qui me pose problème.
    Est-ce que je comprends bien si je reformule ainsi :

    « Est-ce que ça comporte, comprend, intègre (l’élément de) pour dire que c’est … ? »
    « Est-ce que ça comporte au moins une de ces 32 conduites pour dire que c’est un animateur de CRP ? »
    « Est-ce qu’animer comprend d’abord l’encouragement à l’auto-correction de soi et entre pairs pour dire que c’est un animateur de CRP ? »

    julien

    J’aime

  2. «La tâche de l’animateur d’une communauté de recherche philosophique (CRP), bien qu’elle soit fort différente d’un enseignement de type traditionnel, n’est pas pour autant moins importante ni moins complexe.»

    Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha! Ha!

    Qui donc peut penser que c’est moins complexe? Voyons donc! C’est un défi stimulant, pertinent, formateur pour chaque participant (l’animateur compris, bien sûr) et dont je suis persuadé de l’importance. Mais il faut admettre que c’est drôlement plus complexe que l’enseignement traditionnel.

    Si cette habileté faisait partie de la formation obligatoire des enseignants, je crois sincèrement que nous aurions une meilleure société en seulement 20 ans.

    J’aime

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