Cet article a été publié dans la revue Childhood & Philosophy, Rio de Janeiro, v.4, n.7, jan./jun. 2008, sous le titre original: CHRISTIAN BOBIN : VISAGES DE L’ENFANCE OU DE LA RÉSISTANCE AU SOMMEIL. En voici un extrait.
Christian Bobin parle de tout dans ses livres. Mais il accorde une attention
particulière à l’amour et à l’enfance. Voici quelques extraits portant sur l’enfance.
Il nous a fallu faire des choix, tant le sujet est traité amplement dans presque tous
ses livres.
« …les enfants ont un privilège : on ne leur demande pas de justifier leur
existence. On ne demande pas à un enfant ce qu’il fait dans la vie. On le sait bien :
il joue, il pleure, il rit. Il vit – et ça suffit pour vivre… »
La merveille et l’obscur
« Les enfants sont comme les marins : où que se portent leurs yeux, partout
c’est l’immense. »
La part manquante
« L’enfance est une chose étrange, à la fois adorable et exténuante, un trésor et
un chaos. »
Geai
« L’enfance est ce que le monde abandonne pour continuer d’être monde. »
Mozart et la pluie
« On fait quelques pas hors de l’enfance, puis très vite on s’arrête. On est
comme un poisson sur le sable. On est comme celui qui piétine dans sa mort, un
adulte. On attend. On attend jusqu’à ce que l’attente se délivre d’elle même, jusqu’à
l’équivalence d’attendre, de dormir ou mourir. L’amour commence là – dans les
fonds du désert. Il est invisible dans ses débuts, indiscernable dans son visage.
D’abord on ne voit rien. On voit qu’il avance, c’est tout. Il avance vers lui-même,
vers son propre couronnement. »
Une petite robe de fête
« C’est quoi, réussir sa vie, sinon cela, cet entêtement d’une enfance, cette
fidélité simple: ne jamais aller plus loin que ce qui vous enchante à ce jour, à cette
heure. »
La part manquante
« Nous cherchons tous le repos. Partout, dans ce que nous faisons, dans ce
que nous disons, c’est le repos qui est désiré, le sommeil bienheureux dans une
parole, dans un amour, dans un travail. C’est pour trouver le sommeil dans une
vérité que nous commençons à apprendre. C’est pour goûter au sommeil de la
chair – à son endormissement entre les bras de l’autre – que nous tombons
amoureux. C’est pour jouir du sommeil minéral d’une fatigue que nous
entreprenons mille et un travaux. Il y a une aimantation de la vie vers le sommeil.
La vie en nous ne tend qu’à se reposer, qu’à se déprendre enfin d’elle-même dans
un amour, dans un savoir, dans un emploi. Partout, dans toutes nos occupations,
là même où nous nous croyons le plus éveillés, là même nous cédons à cette
attirance d’un sommeil. L’enfance là-dedans est l’exception. L’enfance est dans la
vie comme une chambre éclairée dedans la maison noire. Les enfants n’aiment pas
aller dormir, n’aiment pas ce congé chaque soir donné à la vie. Cette résistance au
sommeil, c’est le visage de l’enfance et c’est la figure même de l’excès: poser des
questions qu’aucune réponse ne viendra endormir. »
La merveille et l’obscur
« […] les médecins sont comme les adultes quand ils parlent aux enfants, ils
vous parlent pour que vous n’entendiez pas, ce qui fait que vous entendez trop. »
L’inespérée
« L’enfant est à l’adulte ce que la fleur est au fruit. La fleur n’est pas certitude
du fruit. »
Le Très-Bas
« La croissance de l’esprit est à l’inverse de la croissance de la chair. Le corps
grandit en prenant de la taille. L’esprit grandit en perdant de la hauteur. La
sainteté renverse les lois de maturité: l’homme y est la fleur, l’enfance y est le fruit. »
Le Très-Bas
« Il n’y a pas d’amour adulte, mûr et raisonnable. Il n’y a devant l’amour
aucun adulte, que des enfants, que cet esprit d’enfance qui est abandon,
insouciance, esprit de la perte d’esprit. »
Le Très-Bas
« […] le génie est composé d’amour, d’enfance et encore d’amour […] »
La plus que vive
« […] les enfants, ce n’est pas sorcier, ça pousse à travers nos erreurs. »
La plus que vive
« Votre expérience de la vie, elle est intransmissible. Elle ne vaut que pour
vous seul. Si vous cherchez à en tirer des leçons, vous radotez, vous ne pouvez
que radoter. Quant aux principes… On n’a jamais rien fait grandir avec des
principes.. On ne fait pas pousser une fleur avec des idées sur la botanique mais
avec de l’eau, de la lumière et de la patience, beaucoup de patience, au jour le jour.
On transmet à un enfant ce qu’on est – jamais ce qu’on croit qu’il faut être. On est
élevé par des gens qui ont été enfants : c’est donc leur enfant à eux qui nous élève. »
La merveille et l’obscur
« Devenir adulte, c’est oublier ce que l’on ne peut s’empêcher de savoir et
dans quoi l’enfant – parce que la force lui est donnée avec sa faiblesse – passe ses
heures : le désarroi des mots, la carence des amours et la lente corruption des
rêves, soumis à tous les vents. »
Le huitième jour de la semaine
« L’enfant est celui auquel on annonce jour et nuit sa fin prochaine, certaine,
voulue : grandis. »
La folle allure
« Passé un certain temps, l’enfant ne peut plus qu’en partir [de la famille] : il
lui est devenu impossible de s’y faire entendre – parce qu’on le connaît trop et
parce qu’on ne le connaît plus. »
La folle allure
« L’enfance est ce que le monde abandonne pour continuer d’être monde ».
Mozart et la pluie
« Un poète, c’est joli quand un siècle a passé, que c’est mort dans la terre et
vivant dans les textes. Mais quand c’est chez vous, un enfant épris d’absolu, bouclé
dans sa chambre avec ses livres, comme un jeune fauve dans sa tanière enfumée
par Dieu, comment l’élever ? Les enfants savent tout du ciel jusqu’au jour où ils
commencent à apprendre des choses. Les poètes sont des enfants ininterrompus,
des regardeurs de ciel, impossible à élever. »
La dame blanche
« Il y a beaucoup de souffrance dans le monde et il y a, en quantité égale,
beaucoup d’enfance. Ces deux matières n’en font qu’une seule. L’esprit d’enfance
est insupportable au monde. L’enfance est ce que le monde abandonne pour
continuer à être monde. Ce qu’on abandonne ne meurt pas mais va, errant, sans
plus connaître de repos. La douleur l’accompagne. »
Mozart et la pluie
« La vie en société c’est quand tout le monde est là et qu’il n’y a personne. La
vie en société c’est quand tous obéissent à ce que personne ne veut. L’écriture c’est
une façon d’échapper à cette misère, une variation de la solitude au même titre que
l’amour ou le jeu – un principe d’insoumission, une vertu d’enfance. »
L’inespérée
« Il n’y a pas d’amour adulte, mûr et raisonnable. Il n’y a devant l’amour
aucun adulte, que des enfants, que cet esprit d’enfance qui est abandon,
insouciance, esprit de la perte d’esprit. »
Le Très-Bas
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Bibliographie sommaire
Souveraineté du vide, Fata Morgana, 1985, Gallimard/folio, 1995
L’homme du désastre, Fata Morgana, 1986
Dame, roi, valet, Brandes, 1987
Lettres d’or, Fata Morgana, 1987
Le huitième jour de la semaine, Lettres Vives, 1988
L’enchantement simple, Lettres Vives, 1989, Gallimard, 2001
La part manquante, Gallimard, 1989, Gallimard/folio, 1994
Éloge du rien, Fata Morgana, 1990
La vie passante, Fata Morgana, 1990
La femme à venir, Gallimard, 1990, Gallimard/folio, 1999
L’autre visage, Lettres Vives, 1991
La merveille et l’obscur, paroles d’Aube, 1991
Une petite robe de fête, Gallimard, 1991, Gallimard/folio, 1993
Le très bas, Gallimard, 1992, Gallimard/folio, 1995
Un livre inutile, Fata Morgana, 1992
Isabelle Bruge, Le Temps qu’il fait, 1992, Gallimard/folio, 1999
L’éloignement du monde, Lettres Vives, 1993
L’inespérée, Gallimard, 1994, Gallimard/folio, 1996
L’épuisement, Le Temps qu’il fait, 1994
Quelques jours avec elle, Le Temps qu’il fait, 1994
La folle allure, Gallimard, 1995, Gallimard/folio, 1997
Bon à rien, comme sa mère, Lettres Vives, 1995
L’homme qui marche, Le Temps qu’il fait, 1995
Clémence Grenouille, Le Temps qu’il fait, 1996
Une conférence d’Hélène Cassicadou, Le Temps qu’il fait, 1996
Gaël Premier, roi d’Abimmmmmme et de Mornelongue, Le Temps qu’il fait, 1996
Le jour où Franklin mangea le soleil, Le Temps qu’il fait, 1996
La plus que vive, Gallimard, 1996, Gallimard/folio, 1999
Autoportrait au radiateur, Gallimard, 1997, Gallimard/folio, 2000
Geai, Gallimard, 1998, Gallimard/folio, 2000
L’équilibriste, Le Temps qu’il fait, 1998
La présence pure, Le Temps qu’il fait, 1998
Tout le monde est occupé, Mercure de France, 1999, Gallimard/folio, 2001
Ressusciter, Gallimard, 2001, Gallimard/folio, 2003
La lumière du monde, Gallimard, 2001, Gallimard/folio, 2003
Le Christ aux coquelicots, Lettres Vives, 2002
Louise Amour, Gallimard, 2004