La philosophie pour enfants existe depuis plus de 50 ans. Et dès ses débuts, par l’entremise de son fondateur Matthew Lipman, il a été clairement avancé que cette nouvelle discipline en philosophie était une façon particulière d’écrire et de faire de la philosophie avec les jeunes (en communauté de recherche) afin que ces derniers trouvent cette discipline à la fois utile et intéressante. Utile parce qu’elle leur permet de développer leur puissance de penser; intéressante parce qu’elle les conduit notamment à réfléchir sur des aspects centraux de leur expérience. Voyons d’un peu plus près la partie utile de cette sous-discipline en philosophie: le développement de la puissance de penser.
Afin de tenter de comprendre ce qu’il en est de la puissance de penser, commençons par une distinction qui remonte à Aristote: sous l’effet se trouve la puissance. Vieille distinction qui a permis de régler de nombreux problèmes (et qui en a probablement créé d’autres). Ici, elle permet de saisir que sous l’expression des discours des enfants engagés dans la recherche en commun se construisent peu à peu des instruments de représentation, des outils pour penser, une puissance de produire des discours de recherche. Et que plus cette puissance devient grande (plus les outils de la pensée sont intériorisés), plus les discours qui sont l’expression d’acte de recherche (nous sommes en communauté de recherche) deviennent riches de sens, tant pour ceux qui les produisent que pour ceux et celles qui les entendent. En figure:
Cette figure montre les mouvements d’intériorisation (Vygotsky aurait dit d’internalisation) qui se jouent au moment de pratiquer le dialogue philosophique en communauté de recherche. Chaque acte de langage, ou acte de recherche (formuler une question, formuler une hypothèse, un exemple, etc.) à partir de l’expérience vécue au sein de la communauté de recherche philosophique (intra CRP) ou à l’extérieur de celle-ci (extra CRP) devient l’occasion d’intérioriser de mieux en mieux cet acte que l’on peut qualifier de représentation, du moins à l’état de puissance. Car ce que les outils de la pensée nous donnent, ce sont des processus de représentation permettant de saisir ce que nous pensons sous la forme d’une question, d’une hypothèse, d’un exemple, etc. Aucun de ces outils ne vient peindre le réel tel qu’il se trouve là devant nous. Ils servent de moyens représentatifs pour exprimer sous forme de recherche ce que nous tentons de comprendre. Plus cette pratique se poursuit, plus les outils de représentation, alias la puissance de penser, se stabilisent et plus les enfants deviennent en mesure de voir clairement l’utilité qu’il y a de faire de la philosophie à l’école. Sans parler de l’intérêt qu’elle suscite, mais ce sera pour un prochain billet.