À la mémoire d’une grande dame: Slavka Jindra!
Extrait d’un dialogue qui a peut-être eu lieu en République Tchèque…
– Michel : Voilà, Slavka, le séminaire avec les enseignants qui s’est déroulé au Centre pédagogique de Ceskè Budejovicè vient de se terminer. J’ai vraiment beaucoup apprécié ces 4 jours de formation. Qu’en est-il pour toi?
– Slavka : Tu sais, Michel, voilà maintenant plus de 10 ans que je travaille au développement de la philosophie pour les enfants en Tchéquie. Nous venons de faire un premier pas avec les enseignants. Cela me réjouit.
– Michel : Oui, un premier pas. En ce qui me concerne, ayant fait la même démarche dans plusieurs pays, je me rends compte à nouveau que la plupart, sinon l’ensemble des écoles s’appuient sur un présupposé qui semble faire l’unanimité : Les enfants vont à l’école pour apprendre.
– Slavka : Je ne sais pas ce qu’il en est en Amérique, mais c’est vrai que l’école en République tchèque est le lieu où on va pour apprendre à lire, écrire, compter et aussi pour apprendre des matières comme l’histoire, la géographie, la littérature…
– Michel : C’est la même chose en Amérique, mais le vent semble tourner depuis quelques années avec les différentes réformes qui ont cours dans le monde de l’éducation. On voit de plus en plus l’importance de modifier la finalité de l’école et de faire d’elle un lieu où l’on vient apprendre à apprendre à penser par et pour soi-même. Ça ne veut pas dire que les matières de base doivent être mises de côtés. Mais à elles seules, elle ne suffisent pas pour apprendre à penser par et pour soi-même.
– Slavka : C’est, au fond, ce que permet la pratique de la philosophie avec les enfants. Tu crois que les participants au séminaire du Centre ont saisi l’importance de ce changement majeur en éducation et qu’ils ont compris le rôle du dialogue dans ce contexte?
– Michel : Je ne sais pas Slavka. Même si ce séminaire avait une structure pratique qui permettait aux enseignants d’expérimenter le pouvoir du dialogue sur la stimulation de la pensée, il n’est pas certain qu’ils aient entièrement saisi ce qu’implique la transformation de la classe en une communauté de recherche. Enfin, cela prend peut-être plus d’un séminaire, et surtout, le développement des compétences à animer une telle communauté peut prendre bien des années.
– Slavka : J’ai discuté avec l’interprète et il semble bien que l’expression «communauté de recherche» ne soit pas facile à traduire en tchèque. Je pense que l’un des participants a bien saisi la nature de ce contexte pédagogique lorsqu’à la fin du séminaire, il a dit qu’une communauté de recherche, c’est un petit laboratoire où les enfants sont mis au défi de penser par et pour eux-mêmes ensemble. Et à penser par et pour eux-mêmes à propos de sujets qu’ils trouvent importants et qu’ils ont identifiés dans les histoires philosophiques écrites pour eux.
– Michel : Oui, je pense que c’est une bonne façon de décrire les choses. Mais il y a le mot recherche qui est important. Penser par et pour eux-mêmes ensemble dans le cadre d’un processus de recherche où chaque enfant est invité à formuler ses questions, ses hypothèses, ses exemples, etc. et à partager le tout avec ses amis, dans un climat de respect, d’écoute et d’entraide.
– Slavka : Il y en a même un qui a tenu à ajouter qu’il s’agissait là d’une formation intellectuelle et morale qui combine adroitement la pratique de la pensée critique, créative et attentive.
– Michel : J’espère seulement que ce ne sont pas que des mots et que cette personne a bien vu que ce n’est pas en expliquant ces formes de pensée aux enfants qu’ils deviendront plus compétents à penser de cette façon.
– Slavka : Mais étant donné la forme du séminaire, où chacun est invité à vivre l’expérience de la création d’une communauté de recherche, je crois bien qu’ils ont saisi la différence entre enseigner la pensée critique et pratiquer la pensée critique.
– Michel : Il serait agréable qu’ils puissent être avec nous ce matin et nous partager leur compréhension du rôle de l’enseignant lorsqu’on transforme la classe en communauté de recherche philosophique.
– Slavka : Je me souviens qu’une participante a affirmé à la fin du séminaire qu’elle voyait maintenant son rôle comme celui qui facilite une telle création et non plus comme celui qui a le mandat de transmettre des connaissances. À ce sujet, je me souviens aussi t’avoir entendu dire un matin que l’enseignant devait, dans le contexte pédagogique d’une communauté de recherche, se voir comme une personne faillible. Mais tu n’as pas vraiment développé cet aspect. C’est dommage.
– Michel : Oui c’est dommage. Car si j’avais eu le temps, je pense que j’aurais ajouté que dans le cadre d’une éducation traditionnelle, l’enseignant est considéré comme celui qui possède le savoir et qu’il doit, en conséquence, le transmettre aux enfants. Dans une éducation de type réflexif, comme celle qui est en jeu en philosophie pour les enfants, l’enseignant perd son rôle de celui qui sait tout avec certitude et qu’il peut être appelé lui aussi à faire des erreurs. L’auto-correction ne vaut pas seulement pour les enfants. Elle est aussi une qualité de l’enseignant.
– Slavka : L’auto-correction est pour moi l’élément le plus important. Sans auto-correction, sans cette volonté apprise de remettre en question ce que l’on sait, ce que nous faisons, je ne vois pas comment on puisse espérer développer son jugement.
– Michel : Je suis du même avis que toi. D’ailleurs, à mes yeux, c’est la valeur la plus importante lorsqu’il s’agit de mettre sur pied un programme de prévention de la violence.
– Slavka : Et c’était là l’un des buts du séminaire : montrer comment la pratique de la philosophie en communauté de recherche peut être un instrument extraordinaire si l’on souhaite prévenir la violence à l’école et dans la société.
– Michel : Oui, en engageant les enfants dans une pratique auto-correctrice, qui prend la forme d’une délibération, on peut les inviter à réfléchir aux concepts entourant la violence et la paix et ainsi les préparer à réduire les conflits, à identifier leur préjugés, à diminuer les stéréotypes.
– Slavka : Les préjugés! Oui aider les enfants à découvrir leurs propres préjugés, mais aussi aider les enseignants à saisir que les enfants sont capables, très tôt, de réfléchir par et pour eux-mêmes.
– Michel : Croire l’inverse, c’est peut-être le premier préjugé à identifier si l’on souhaite prévenir la violence.
– Slavka : Oui, la violence faite aux enfants!
– Michel : Je dois prendre mon avion très bientôt Slavka, d’autres formations m’attendent en Suisse et au Canada. J’ai déjà hâte de revenir à Ceské Budejovicè l’année prochaine afin de poursuivre le travail entrepris cette année.
– Slavka : J’ai hâte moi aussi… je sens que la relève s’installe… enfin!