Tiré du livre: Sasseville, M. (dir.) (2009). La pratique de la philosophie avec les enfants, 3e éd. Coll. Dialoguer. Québec : Presses de l’Université Laval. 276 p.
Matthew Lipman et Ann Margaret Sharp n’ont pas créé l’approche de philosophie pour les enfants en construisant d’abord un plan d’ensemble bien défini, lequel, une fois terminé, conduirait tout naturellement à la phase de sa réalisation. Si une première intention les poussa à construire un modèle permettant d’envisager une pratique de la philosophie avec les enfants, c’est de cette pratique, en retour, que s’est développée peu à peu la réalisation de l’intention initiale. L’histoire de cette approche présente le pas à pas d’un travail expérimental où l’esprit, en conduisant les choses, se laisse aussi conduire par elles.
Comme résultat, nous voici devant un programme qui associe les enfants au processus philosophique. Pour ce faire, Lipman soutient qu’il faut s’appuyer sur un matériel qui viendra stimuler les habiletés de la pensée. S’inspirant des dialogues de Platon qui livrent une littérature qui provoque le dialogue et la recherche auto-correctrice, Lipman et Sharp ont composé une série d’histoires philosophiques en ayant en tête les deux critères minimaux suivants : ils doivent être accessibles selon le niveau de lecture des lecteurs et ils doivent fournir une expérience intellectuelle stimulante qui emporte avec elle le souci d’être pensée et révisée.
Voici une brève description du contenu de chacune des histoires écrites par Lipman.
Elfie: Raisonner sur l’activité de penser
Maternelle et 1ère année
Elfie est en première année et elle est extrêmement timide. Elle n’ose parler en classe et éprouve de la difficulté à formuler une question. Lorsque le directeur de l’école propose un concours visant à développer le raisonnement, toute la classe est entraînée à découvrir la nature d’une phrase, la relation entre un sujet et un prédicat, à faire des distinctions. Cette activité les conduit aussi à se pencher sur plusieurs distinctions fondamentales concernant le processus d’enquête: les différences entre les apparences et la réalité, la permanence et le changement, le changement et la croissance. Les enfants découvrent aussi que ces distinctions sont quelques-unes des présuppositions qui interviennent dans l’activité de penser et d’agir avec succès.
Kio et Augustine: introduction à la philosophie de la nature.
1ère et 2e années.
Le roman est fait de conversations touchant le langage, les idées, les animaux, les personnes et les choses. Pendant qu’elle visite la ferme de ses grands parents, Kio, un enfant de sept ans, rencontre Augustine, une autre enfant du même âge. Ce qui différencie profondément Kio d’Augustine, c’est que Kio est capable de voir alors qu’Augustine est aveugle. Dans ce roman, les enfants partent à la découverte du monde qui les entoure et s’étonnent à propos de certains contrastes entre: l’apparence et la réalité; la peur et le courage; dire et faire; la vérité et la beauté. Les personnages du roman expriment un intérêt pour les concepts d’espace et de temps ainsi que pour la relation entre le langage et le monde.
Pixie: signification et ambiguïté de la signification.
3e et 4e années
Pixie, un enfant dont on ne sait pas l’âge (elle dira au début qu’elle a le même âge que nous) raconte une histoire à propos d’une histoire qu’elle a dû inventer lors de la visite au zoo organisée par son école. Pixie, un programme axé sur la lecture, le langage et le raisonnement, vise à affiner les habiletés de penser tout en permettant aux enfants de s’interroger philosophiquement sur des idées qui les préoccupent. Ils sont invités à généraliser, à classifier, à analyser des concepts, à faire des comparaisons, des analogies, à prendre conscience des contradictions, à comprendre ce qu’est une relation, à réfléchir sur les notions de mystère, de secret et d’histoire. Cette histoire accorde une importance considérable au langage.
Nous : la formation du caractère
4e et 5e années
Nous est une suite possible à l’histoire de Pixie. On retrouve les personnages de Pixie, mais cette fois, l’histoire s’oriente vers des considérations qui touchent l’éthique, la morale, la formation du caractère.
La découverte de Harry: pièce maîtresse du programme: introduction aux principales habiletés d’une pensée logique.
5e et 6e années
Ce roman présente la découverte des principes de logique formelle et informelle par le biais de la constitution d’une communauté d’enquête où des élèves, des parents et des professeurs réfléchissent et discutent de cette activité très particulière qui consiste à penser. Dans cette histoire, dix-huit thèmes logiques sont entrevus (allant de la définition d’un objet de pensée au syllogisme hypothétique en passant par la conversion des énonciations) et 84 activités mentales sont présentées (se souvenir, imaginer, s’étonner, avoir une intuition).
Lisa: introduction aux problèmes éthiques, aux problèmes des valeurs.
Début du secondaire
Cette histoire constitue une suite à Harry. Tout en appliquant des principes découverts dans le roman qui le précède, elle concentre l’attention sur des problèmes éthiques et sociaux tels que l’équité, l’impartialité, l’honnêteté, le caractère naturel que présente une chose, le fait de dire la vérité et de dire un mensonge, la nature et les règles de la négociation, en mettant l’emphase sur la relation existante entre la logique et l’éthique. Évidemment, ici comme ailleurs, il ne s’agit pas de donner à l’élève des réponses toutes faites, mais de l’amener à développer les habiletés de penser lui permettant de juger par lui-même les situations qui font intervenir des considérations morales. Lisa permet de découvrir explicitement que les instruments de la logique ne garantissent pas une solution à tous les problèmes.
Suki: introduction à l’esthétique.
Milieu du secondaire
Dans ce roman, Harry a de la difficulté à compléter des devoirs de composition parce que, selon lui, il n’a rien à dire. Suki va l’aider en l’éveillant à ce qu’il y a de significatif dans la poésie et surtout à la manière dont la poésie peut rendre son expérience de la vie encore plus significative. Leurs chemins finissent par converger et ils découvrent ensemble la relation qu’il y a entre les expériences vécues et le sens que l’on y découvre. Ils découvrent aussi certains critères pour évaluer une rédaction, une composition et discutent la relation entre penser et écrire.
Marc: introduction aux problèmes qui concernent la société.
Fin du secondaire
Marc, un des enfants que l’on rencontre dans les histoires précédents, se voit accuser de vandalisme dans son école, puis arrêter. Pendant que ses amis essaient de prouver son innocence, des sujets tels que la nature de la bureaucratie, la fonction d’une loi, la liberté individuelle versus les besoins de la société et la justice sont discutés.
À ce matériel, il faudrait aussi ajouter celui produit, plus récemment, par différents collaborateurs de Lipman et Sharp, lesquels proviennent notamment de l’Angleterre, de l’Australie, du Brésil, du Mexique et du Québec. Nous sommes donc en présence d’une nouvelle littérature pour les enfants qui, jointe aux guides pédagogiques qui accompagnent chacune de ces histoires, reconfigure la présentation de la philosophie afin qu’elle soit accessible aux enfants.
Mais ce matériel, à lui seul, ne saurait suffire pour faire de la philosophie avec les enfants. Encore faut-il, si l’on vise la pratique, qu’il soit utilisé dans un contexte qui appelle la création d’une communauté de recherche. Cette dernière est un tout qui dépasse largement le matériel venant d’être présenté. Ses composantes sont multiples et un examen, même sommaire, de ses parties nous montrera que la pratique de la philosophie avec les enfants, bien que simple dans sa façon de procéder, suppose un réseau complexe de relations qui expliquent l’importance et l’intérêt qu’on lui accorde de plus en plus dans le monde de l’éducation.
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