« Moi je dis que c’est mieux de chercher avec d’autres, parce que si les autres ont des idées, et que moi j’ai une idée pour l’autre, ça peut nous aider tous les deux. » Mathieu, 2e cycle du primaire
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Faire de la philosophie avec les enfants, c’est les inviter à s’engager dans la création d’un processus d’enquête, de recherche où tous les ingrédients de l’enquête scientifique sont en jeu : questionnement, formulation d’hypothèses, vérification des hypothèses, etc. Et par-delà la recherche, c’est la quête qui est au menu. Car il s’agit d’une recherche philosophique, laquelle nous conduit presque inévitablement vers les mystères qui fondent notre expérience.
Engager les enfants dans l’acte de la recherche, c’est les inviter à pratiquer un ensemble d’outils dont leur pensée se sert pour connaître et donner du sens à leur expérience. Chercher, c’est poser des questions, c’est formuler un problème, préciser un point de vue, c’est formuler des hypothèses, c’est tenter de vérifier la valeur de ces hypothèses, c’est exemplifier, c’est identifier des contre-exemples pouvant remettre les hypothèses en question, c’est être sensible aux nuances contextuelles… La pratique de la philosophie dans une communauté de recherche peut certainement contribuer à aider les enfants à vivre l’acte de la recherche.
Remarquons que la pratique de la philosophie en communauté de recherche invite les enfants à produire toutes sortes d’hypothèses, même celles qui apparaissent, à première vue, paradoxales, c’est-à-dire hautement improbables. Car ce qui apparaît comme une erreur dans un cadre de référence peut devenir pensable, vraisemblable à condition qu’on accepte de changer entièrement ce cadre. Mais un tel changement implique la possibilité d’examiner ce qui apparaît d’abord hautement improbable, voire même erroné. Ainsi, ce n’est pas seulement en référence au hautement probable que s’établira la discussion en communauté de recherche. Elle peut aussi pointer vers des horizons qui ne sont pas généralement acceptés.
Le danger de s’appuyer seulement sur le probable comme source de justification tient dans la possibilité de mettre alors en place une vision théorique trop étroite qui, dès le départ, privilégierait les conceptions qui prévalent au détriment d’autres conceptions, moins acceptées et qui, au lieu de faire l’objet d’une investigation approfondie, seraient plutôt considérées comme rivales et, par conséquent, à rejeter d’emblée. Ainsi donc, quand on s’engage dans une recherche avec les enfants, on s’inscrit dans un contexte où la proposition paradoxale, la partie de l’alternative qui semble improbable, est considérée, désirée et examinée, car même paradoxale, il est pensable qu’elle soit à l’origine d’une nouvelle solution au problème qui est au coeur de la discussion.
Pensons à Christophe Colomb : à son époque bon nombre de «scientifiques» croyaient que la terre était plate et que s’il continuait à naviguer, il finirait par tomber en dehors de la terre. Il semble que plusieurs croyaient qu’il faisait une erreur en pensant pouvoir faire le tour de la terre. Mais, par la suite, ils réalisèrent que cela n’était pas du tout une erreur, à condition d’accepter de changer entièrement leur cadre de compréhension au sujet de la forme de la terre.
Dans une communauté de recherche, la recherche se fait avec les autres et, par conséquent, elle a nécessairement une dimension sociale. On cherche avec les autres, on entre en relation avec autrui dans un souci de collaboration et de coopération. Dans une communauté de recherche, personne n’a raison au départ. La recherche se fait avec les autres et l’objectivité se présente comme le résultat de l’intersubjectivité.
L’acte de rechercher est une compétence générique, transversale et la philosophie peut jouer un rôle important dans le développement de cette compétence. Comme on s’en doute, la recherche à l’école ne va pas sans effet sur l’enseignement des autres matières. En outre, la pratique de la philosophie ne s’arrête pas au sortir de la classe. C’est que l’investigation philosophique n’a pas de limite. Qui plus est, les questions dont on discute en communauté de recherche n’ont pas d’âge. Quel que soit l’âge, la question de la beauté est importante, tout aussi importante que celle de la vérité, de la justice… ou de la violence.
Certes, les enfants d’aujourd’hui sont les adultes de demain, mais ils sont aussi les parents de demain. Et quand leurs enfants reviendront de l’école avec l’esprit préoccupé de questions philosophiques, il y a fort à parier qu’ils seront encore mieux préparés à chercher avec leurs enfants. Une recherche qui, de génération en génération, est à recommencer, et qui serait grandement enrichie si toutes les voix pouvaient y être entendues, à commencer par celles des enfants.