Vous avez dit : des enfants en train de faire de la philosophie en communauté de recherche?

libéraux

Oui, oui, c’est le cas! J’ai bien dit: des enfants en train de faire de la philosophie en communauté de recherche! Mais à quoi reconnaît-on qu’ils sont en train de faire cette activité qui est réservée habituellement aux grandes personnes?

Tout d’abord, lorsqu’on observe des enfants engagés dans l’acte de philosopher en communauté de recherche, on entend des mots, des intonations, des rires, des questions… On voit aussi des regards, des gestes comme des mains qui se lèvent et semblent voler au vent. Une première observation peut nous révéler ces aspects.

Toutefois, si on pousse l’observation un peu plus loin, nous pouvons entrevoir, et sommes conduits à concevoir, d’autres mondes : celui des idées, celui des relations entre ces idées, celui des processus entrelacés que partagent ces personnes et où interviennent plusieurs habiletés de pensées et comportements sociaux. Si ces derniers ne sont pas observables directement, ils sont néanmoins concevables pour qui prend soin d’imaginer ce qui se passe sous les mots employés par les enfants.

Ainsi, un point de vue à considérer au moment d’observer une communauté de recherche en action est celui de la dimension sociale qui la caractérise. Par dimension sociale, on peut entendre tout ce qui a trait aux rapports humains engagés dans cette mini-société qu’est la communauté de recherche. Peut-être faut-il voir, au premier chef de ces rapports, l’écoute et l’entraide qui se mettent en route au moment de pratiquer la philosophie. Mais il y a aussi la coopération, le soin que chacun porte à lui-même et aux autres.

Un autre angle d’approche consiste à centrer son attention sur les habiletés de pensée qui sont en jeu dans cette pratique, au nombre desquelles figurent l’habileté à raisonner, l’habileté à rechercher, l’habileté à conceptualiser et à organiser l’information et l’habileté à communiquer, à s’exprimer, à interpréter (à traduire dans son monde le monde l’autre). Chacune de ces habiletés est reconnaissable à un ensemble d’actes particuliers, de mots prononcés et inscrits dans le discours des enfants. Ainsi l’habileté à raisonner pourra s’observer au moment où des enfants exprimeront un « parce que », un « je me base sur ceci pour dire cela », etc. L’habileté à rechercher s’observera notamment au moment où des enfants seront en train de formuler des questions, des hypothèses, des contre-exemples. L’habileté à conceptualiser se traduira par des propos visant à préciser le sens des termes employés (par ceci, je veux dire ceci…) à définir, à classifier… Enfin l’habileté à interpréter pourra être observée, notamment, lorsque des enfants tenteront de redire en leurs propres mots ce que d’autres ont affirmé,  à écouter attentivement…

Ainsi, à la question : À quoi reconnaît-on que des enfants sont en train de faire de la philosophie ? la réponse pourra varier selon le point de vue choisi. À première vue, cela ne diffère guère d’une conversation entre des personnes qui semblent être des amis. On les entend échanger à propos de sujets, de questions qui les intéressent, dans un contexte où l’écoute, le respect, la surprise mutuelle sont de mise. Mais si on observe un peu plus attentivement comment les choses se passent, si on prend soin de varier les points de vue qui s’offrent à nous, on remarquera que les propos s’accompagnent d’un souci de raisonner ensemble, de partager l’information, de définir les termes employés, de dégager les présupposés, d’entrevoir les implications, d’envisager différents points de vue, de peser les valeurs des raisons avancées, de nuancer son propos, de faire preuve de bonne foi et de courage… La liste est très longue.

En somme, si on observe attentivement des enfants en train de philosopher, on les verra engagés dans une activité où pensée critique, créative et attentive sont en constante interaction, inscrites qu’elles sont dans le cadre social de la communauté de recherche. Ces relations, à la fois cognitives, affective et sociales, pour ne nommer que celles-ci, montrent la richesse du processus qui est en jeu, un processus qui va bien au-delà de la simple conversation entre amis, puisqu’il s’agit d’un dialogue philosophique. Celui-ci, en philosophie pour les enfants, s’inscrit dans le cadre d’une recherche délibérative, processus complexe exigeant le recours à plusieurs composantes formatrices d’un jugement qui se veut à la hauteur des aspirations d’une société visant une démocratie digne de ce nom, c’est-à-dire d’une démocratie composée de personnes ayant la compétence et le désir de juger d’une manière raisonnable.

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