Comment bien observer ce qui se passe en philosophie pour enfants?

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Si, comme le disait le linguiste Gustave Guillaume, on veut expliquer quelque chose, encore faut-il le comprendre, et si on veut le comprendre, encore faut-il l’observer.  Ainsi, si on veut expliquer, à qui que ce soit, la philosophie pour enfants, le mieux que l’on puisse faire pour débuter, c’est d’observer finement ce phénomène.  Il en va ainsi comme dans toute science qui, pour être, prend son départ à l’observation.

Mais qu’y a-t-il à observer en philosophie pour enfants?  Lorsqu’on observe des enfants engagés dans l’acte de philosopher, on entend des mots, des intonations, des rires, des histoires. On voit aussi des regards, des gestes. Une première observation peut nous révéler ces aspects. Toutefois, si on pousse l’observation un peu plus loin, nous pouvons entrevoir, et sommes conduits à concevoir une autre réalité, non directement observable, un autre monde: celui des idées, celui des relations entre ces idées, celui des processus entrelacés que partagent ces personnes et où interviennent plusieurs habiletés de pensées et conduites sociales, voire affectives. Si ces dernières réalités ne sont pas observables directement, elles sont néanmoins concevables pour qui prend soin d’imaginer ce qui se passe sous les mots employés par les enfants.

Un point de vue à considérer au moment d’observer des enfants pratiquant les actes de philosopher est celui de la dimension sociale qui caractérise ces actes. Par dimension sociale, on peut entendre tout ce qui a trait aux rapports humains engagés dans ces actes. Peut-être faut-il voir, au premier chef de ces rapports, l’écoute et l’entraide qui se développent au moment de pratiquer la philosophie.

Un autre angle d’approche consiste à centrer son attention sur les habiletés de pensée qui sont en jeu dans cette pratique, au nombre desquelles figurent l’habileté à raisonner, l’habileté à rechercher, l’habileté à conceptualiser et à organiser l’information et l’habileté à communiquer, à s’exprimer, à interpréter (à traduire dans son monde le monde de l’autre). Chacune de ces habiletés est reconnaissable à un ensemble d’actes particuliers, de mots prononcés et inscrits dans le discours des enfants. Ainsi l’habileté à raisonner pourra s’observer au moment où des enfants exprimeront un « parce que », un « je me base sur ceci pour dire cela », etc. L’habileté à rechercher s’observera notamment au moment où des enfants seront en train de formuler des questions, des hypothèses, des contre-exemples. L’habileté à conceptualiser, à définir se traduira par des propos visant à préciser le sens des termes employés (par ceci, je veux dire ceci…). Enfin l’habileté à traduire pourra être observée, notamment, lorsque des enfants tenteront de redire en leurs propres mots ce que d’autres ont affirmé.

Ainsi, à la question : À quoi reconnaît-on que des personnes sont en train de faire de la philosophie ? la réponse pourra varier selon le point de vue choisi. À première vue, cela ne diffère guère d’une conversation entre des personnes qui semblent être des amis. On les entend échanger à propos de sujets, de questions qui les intéressent, dans un contexte où l’écoute et le respect sont de mise. Mais si on observe un peu plus attentivement comment les choses se passent, si on prend soin de varier les points de vue qui s’offrent à nous, on remarquera que les propos s’accompagnent d’un souci de raisonner ensemble, de partager l’information, de définir les termes employés, de dégager les présupposés, d’entrevoir les implications, d’envisager différents points de vue, de peser les valeurs des raisons avancées… La liste est très longue.

En somme, si on observe attentivement des enfants en train de philosopher, on les verra engagés dans une activité où pensée critique, créative et attentive sont en constante interaction, inscrites qu’elles sont dans le cadre social de la communauté de recherche. Ces relations, à la fois cognitives, sociales et philosophiques, pour ne nommer que celles-ci, montrent la richesse du processus qui est en jeu, un processus qui va bien au-delà de la simple conversation entre amis, puisqu’il s’agit d’un dialogue philosophique. Celui-ci, en philosophie pour les enfants, s’inscrit notamment dans le cadre d’une recherche délibérative, processus complexe exigeant le recours à plusieurs composantes formatrices d’un jugement qui se veut à la hauteur des aspirations d’une société visant une démocratie digne de ce nom, c’est-à-dire d’une démocratie composée de personnes ayant la compétence et le désir de juger d’une manière raisonnable.

Tiré et adapté de: Sasseville, M. et Gagnon, M. Penser ensemble à l’école. Des outils pour l’observation d’une communauté de recherche philosophique en action (2e édition), Coll. Dialoguer, Pul, Québec, 2012.

 

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