Philosophie pour enfants et recherche éthique

Les enfants sont préoccupés par les questions qui touchent leur manière de vivre ensemble. Ils ne veulent pas seulement savoir dans quel monde ils vivent. Ils sont aussi préoccupés de savoir dans quelle sorte de monde il ferait bon vivre. Une communauté de recherche est un lieu où nous apprenons à vivre ensemble et un lieu où il fait bon vivre.

L’enquête éthique porte principalement sur cette question fondamentale: dans quelle sorte de monde voulons-nous vivre? Qu’avons-nous besoin de faire et qu’avons-nous le droit de faire pour qu’un tel monde advienne? En philosophie pour les enfants, la recherche éthique ne se fait pas en solitaire. Inscrite dans une communauté de recherche, elle s’effectue en lien avec d’autres personnes qui partagent des objectifs similaires, qui échangent de l’information, qui respectent le point de vue et les opinions d’autrui et qui ont envie de construire une conception raisonnable des modes de vie, une conception dont on puisse dire : ah voici comment les humains pourraient bien vivre ! Quand des enfants réfléchissent de cette façon sur des sujets touchant l’éthique et qu’ils ont le souci de l’autocorrection, on peut dire alors qu’ils forment une communauté de recherche éthique.

Apprendre à vivre ensemble est une tâche complexe, car elle suppose le développement d’un ensemble d’attitudes et d’habiletés qui doivent être bien orchestrées pour que l’entreprise réussisse. Dans une communauté de recherche, le but n’est pas de gagner ou de perdre. Le but est de créer un monde commun à la construction duquel chacun pourra participer activement. Pour réaliser un tel projet, il importe que les enfants prennent le temps de s’écouter, de s’entraider, de se respecter, d’agir en toute justice avec le courage et la prudence que cela exige. La présence de tous les autres vient favoriser le développement de ces dispositions en forçant chaque participant à développer ce que les anciens nommaient des vertus. Et cela peut se produire à tout moment, pendant la lecture, pendant la discussion, ou lors de la cueillette de questions.

La recherche éthique privilégie certains outils de la pensée. Comme le suggère le guide La recherche éthique (guide d’accompagnement pour le roman Lisa), cette forme de recherche fera appel au rapport tout-parties comme au rapport entre les moyens et la fin; la formulation d’hypothèses fera aussi partie du coffre d’outils des personnes engagées dans une recherche éthique; l’universalisation, c’est-à-dire la capacité d’entrevoir ce qu’il adviendrait si tout le monde optait pour une position, compte parmi les outils de ce coffre; la recherche de conséquences est peut-être au cœur même de tous ces outils, tant il semble difficile d’imaginer son absence lorsqu’il est question d’une problématique morale; enfin, la prise en compte de l’entier du problème est aussi indispensable, car bien souvent les difficultés que nous rencontrons sur le plan éthique tiennent au fait que nous n’avons pas su considérer le problème dans son entier. Ce ne sont là que quelques exemples de l’ensemble des outils qui interviennent au moment d’une recherche à caractère éthique. Tous ces outils sont utiles dans une enquête éthique, mais au premier chef, peut-être, se trouve la capacité d’imaginer les conséquences de nos actes.

La recherche éthique occupe une place centrale en philosophie. Ainsi des questions comme : Dans quelle sorte de monde voulons-nous vivre? Comment vivre avec soi et les autres? Qu’est-ce que l’amitié, qu’est-ce que l’amour? sont des questions quasiment éternelles, qui se reposent de génération en génération et qui hantent l’esprit des philosophes depuis au moins 2500 ans.

Et en présence de ces questions, on pourrait être tenté de transmettre sa morale… de transmettre aux enfants ce qu’on croit bon et juste… mais tel n’est pas le but de la pratique de la philosophie pour enfants. En outre, la formation éthique qui est en jeu ici n’est pas une formation de la raison qui viendrait contrôler les émotions, mais une formation des émotions afin que l’être humain développe un désir grandissant pour des principes, des raisons qui guident ses actions. Il ne s’agit pas de contrôler les émotions par la raison, mais de redistribuer ces émotions de telle sorte qu’elles s’harmonisent à des désirs visant la « raisonnabilité », la cohérence, l’autocritique et qu’elles permettent de franchir le pas de l’autocorrection, qui est la fin ultime de toute formation éthique. Plus on pourra se corriger soi-même, plus on aura le désir de le faire, plus on pourra entrer en relation authentique avec l’autre. L’enjeu d’une recherche éthique n’est pas de corriger l’autre, mais de se corriger soi-même en vue de pouvoir rencontrer l’autre dans sa différence et sa richesse, par là même qu’il est différent.

C’est de cela, notamment, dont nous avons besoin si nous souhaitons accéder à un jugement raisonnable. Et c’est ce qui est en jeu lorsqu’on transforme la classe en une communauté de recherche philosophique. Chaque enfant devient un membre actif d’un processus de délibération qui le conduit peu à peu à nuancer son jugement, un jugement pratique, éthique, dont il a besoin quotidiennement, et dont il aura toujours besoin, de plus en plus, dans une société démocratique. Devant l’ampleur de la tâche, rien d’étonnant à ce qu’on consacre beaucoup de temps à cette formation qui, pour éthique qu’elle soit, suppose la présence de la philosophie dans son entier! Sans quoi, on risque de prendre la partie pour le tout…

Tiré de Penser ensemble à l’école: Des outils pour l’observation d’une communauté de recherche philosophique en action.

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