Réfléchir sur l’acte de réfléchir: un pas vers l’auto-correction en philo pour enfants

libéraux

 

Commençons par un en écho avec un billet antérieur. Lorsque nous réfléchissons, lorsque nous pensons, lorsque nous raisonnons ou lorsque nous parlons, nous faisons des actes cognitifs. En fait, tout ce qui se rapporte à l’acte de penser est considéré comme de la cognition. Ainsi, les habiletés de (faire des hypothèses, dégager des conséquences, fournir des critères, synthétiser…) sont de l’ordre de la cognition. Cependant, lorsque nous parlons de la métacognition, nous faisons référence à un mode de pensée qui est un peu différent. Effectuer des actes métacognitifs, c’est faire un retour (la plupart du temps critique) sur la manière dont nous avons réfléchi sur un sujet, sur la manière dont nous nous y sommes pris pour résoudre un problème, répondre à une question ou arriver à telle ou telle conclusion. Nous pourrions réfléchir sur un sujet, arriver à une certaine opinion et nous demander comment nous en sommes venus à penser ainsi. Lorsque nous faisons un retour sur ce qui nous a conduits à penser de telle ou telle manière, nous faisons des actes métacognitifs.

C’est la même chose lorsque nous faisons une activité ou un travail. Dans un premier temps, nous l’effectuons un peu à notre manière en utilisant ce que nous croyons être le plus approprié. Par la suite, lorsque le travail est terminé et que nous nous demandons comment nous avons procédé pour arriver à ce résultat, nous sommes dans une perspective métacognitive. Il en va de même lorsque nous tentons d’évaluer la qualité de notre travail. Se demander si un travail est bien fait, s’il y a possibilité de l’améliorer ou s’il y a d’autres manières de faire, c’est s’engager dans une activité de métacognition. En fait, la métacognition est un retour sur nos propres processus de pensée, sur nos propres manières de faire.

L’acte de prendre nos processus cognitifs comme objet de réflexion revêt un aspect éminemment critique lorsqu’elle consiste en une évaluation des outils cognitifs utilisés lors de la délibération. Lorsque nous parlons des outils cognitifs, nous faisons allusion à plusieurs habiletés de pensée qui se pratiquent à l’intérieur des discussions philosophiques en groupe. Nous pensons alors à des habiletés aussi diverses que raisonner, inférer, faire des analogies, dégager des conséquences, fournir des raisons et des exemples, proposer des contre- exemples, définir… En philosophie pour les enfants, ces outils constituent des objectifs de formation, puisqu’ils se rapportent tous, de près ou de loin, au jugement. En outre, chacun d’eux se caractérise par son caractère générique. Ainsi, nous croyons que si les enfants apprennent à mobiliser ces outils dans le contexte de la communauté de recherche philosophique, il y a plus de chances (quoique cela ne se produit pas nécessairement) qu’ils les utilisent à l’intérieur de contextes différents, pour ne pas dire dans leur vie de tous les jours.

Bien que les outils de la pensée soient d’une importance capitale lorsque nous nous engageons dans l’exploration d’un concept ou encore à l’intérieur d’une formation au jugement raisonnable, il n’en demeure pas moins que leur utilisation doit être efficace et effectuée convenablement. Il se pourrait, par exemple, que nous nous y prenions mal pour définir, ou encore que nous usions de ces outils pour tromper la vigilance des autres, pour faire des sophismes… Il devient donc primordial de porter une attention particulière à la manière dont ces outils sont utilisés, et d’inciter les participant.e. à faire preuve d’esprit critique. Réfléchir sur l’acte de réfléchir en communauté de recherche consistera donc, pour nous, à prendre le temps d’évaluer si les outils que nous employons (utiliser des exemples et contre-exemples, considérer différents contextes, définir les termes employés, etc.) sont correctement employés. Voici quelques cas:

1- Utiliser des exemples: ce n’est pas parce que nous pensons avoir un exemple qu’il sera bon pour illustrer ce dont nous parlons. Encore faut-il qu’il soit en lien avec ce qu’il est sensé illustrer. S’il ne semble pas le faire, il y a lieu de questionner sa valeur.

2- Utiliser des contre-exemples: un contre-exemple devrait remettre en question l’hypothèse proposée, la conception avancée. S’il n’y arrive pas, il s’agit probablement d’un mauvais contre-exemple qu’il importe d’examiner.

3- Considérer différents contextes: s’il n’y a qu’un seul contexte qui est présenté, cela ne saurait suffire pour affirmer que nous considérons différents contextes.

4- Définir les termes employés: bien qu’il y ait plusieurs façons de définir un terme, cet acte doit respecter certaines règles. Par exemple, si on utilise le terme à définir (ou son dérivé dans la définition (La liberté est tout acte que l’on pose librement…), on se retrouve en présence d’une définition circulaire. Normalement, une définition a pour fonction de nous faire comprendre le terme à définir. Si la définition ne nous éclaire pas, pire nous rend encore plus confus, il y a lieu de questionner sa valeur.

5- Reformuler les propos d’autrui: ce n’est pas parce que nous disons que nous reformulons les propos d’un membre d’une communauté de recherche que nous sommes effectivement en train de le faire. Il est bon de s’assurer que la reformulation est précise en demandant par exemple: a-je bien compris ce que tu as dit si je reformule tes propos de la façon suivante…?

6- Identifier un critère: bien que plusieurs éléments peuvent servir de critères, il arrive que ce qui est proposé comme un critère n’en soit pas un, ou demande du moins d’être évalué comme tel. Par exemple, si j’avance que mon critère pour déterminer si un acte est bon est qu’il soit au moins le fruit d’une bonne intention, il y a de forte chance que ce critère (fruit d’une bonne intention) soit retenu. Par contre, si j’avance que mon critère pour déterminer si un acte est bon est qu’il respecte ma manière de voir les choses, là il se pourrait que le critère soit très discutable et qu’on découvre finalement que s’il peut s’agir d’une raison, cela n’en fait pas (peut-être pas) une bonne raison et ne pourrait donc pas servir de critère.

7- Examiner le rapport partie/tout: Quand on examine ce rapport, il arrive fréquemment qu’on infère que les propriétés du tout sont celles des parties (ou l’inverse). Mais ce n’est pas toujours le cas. Il importe donc de porter une attention à cette inférence du tout vers la partie ou l’inverse et de se demander si la qualité d’une partie que nous inférons de celle du tout (ou l’inverse) est viable.

8- Dégager un présupposé: cet acte suppose qu’on identifie clairement le sous-entendu nécessaire derrière (sous) le propos. Mais ce n’est pas toujours le cas. Il importe donc, au moment où une personne affirme qu’elle voit un présupposé dans un propos, de se demander: mais est-ce bien le cas? Et si le présupposé a bien été identifié, on peut aller plus loin et se demander: est-ce que le présupposé tient la route? La solidité du toit ne peut dépasser celle de la cave.

9- Fonder ses affirmations à l’aide de raisons ou d’arguments. Nous raisonnons habituellement assez bien. Cependant, lorsque les problèmes deviennent complexes, comme cela peut être le cas dans une délibération en communauté de recherche, il arrive que nos ayons de la difficulté à produire de bons raisonnements. Il est donc précieux d’être attentifs, tant à la forme des arguments (pour cela un bon cours de logique est très utile ou une longue pratique en philosophie pour enfants) qu’à la vérité des énoncés qu’ils contiennent (on ne peut conclure le vrai à partir du faux). En outre, ce n’est pas parce que nous avançons une raison que cette raison est nécessairement une bonne raison.

Enfin l’acte de réfléchir sur l’acte de réfléchir peut porter, disions-nous plus haut, sur nos propres manières de faire. La communauté de recherche a ses manières de faire, tant par la communauté qu’elle est, que par la recherche qui s’y déploie, Se questioner sur cette manière de faire – de vivre – qui allie à la fois la dimension sociale et cognitive, c’est aussi réfléchir sur l’acte de réfléchir. C’est se dire: «nous sommes rendus ici, nous avons passé par ici et là, mais sommes-nous dans la bonne voie? Avons-nous oublié une étape, un espace de recherche qui nous permettrait d’avoir le sentiment, l’impression que nos progressons? Se pourrait- il que nous n’ayons pas pris suffisamment de temps pour définir les termes que nous employons? Avons-nous tenté de voir le problème dans son ensemble? Avons-nous pris le temps de nous écouter attentivement avant de proposer une nouvelle idée? Etc. Si non, comment devrions-nous nous y prendre, corriger le tir? L’auto-correction de groupe est un pas de géant dans la construction d’une communauté de recherche. Et une voie royale pour l’auto-correction de soi.

Extraits et adaptations de Gagnon, Mathieu et Sasseville, Michel, Penser ensemble à l’école: des outils pour l’observation d’une communauté de recherche philosophique en action, 2e éd. PUL, 2012.

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