En philosophie pour enfants, il existe de nombreuses habiletés de penser à exercer. En voici quelques exemples:
Fournir une raison, un argument |
Proposer des critères |
Évaluer une raison |
Fournir des exemples et des contre-exemples |
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Considérer différents contextes |
Détecter les ambiguïtés |
Distinguer |
Formuler une hypothèse |
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Comparer |
Utiliser des analogies |
Reformuler les propos d’autrui |
Élaborer ses idées à partir de celles des autres |
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Dégager des conséquences |
Dégager des présupposés |
Poser des questions qui font avancer la recherche |
Clarifier |
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Proposer une critique raisonnable menant à l’auto-correction |
Réfléchir sur l’acte de réfléchir en communauté de recherche |
Envisager des angles différents |
Examiner l’envers d’une position |
Si chacune de ces habiletés a son importance dans le cadre d’une recherche philosophique, j’avancerais que celle consistant à réfléchir sur l’acte de réfléchir en communauté de recherche est indispensable pour qui veut s’approcher de la lucidité humaine qui se développe grâce à la pratique de la philosophie avec les enfants. En effet, une pensée qui ne sait pas où elle en est elle-même de sa propre construction est une pensée turbulente (aimait à dire le linguiste Gustave Guillaume). En pratiquant la philosophie avec les enfants et en invitant ces derniers à réfléchir sur l’acte de réfléchir en communauté de recherche, on les aide à substituer à la turbulence de leur pensée une conduite pour laquelle cette turbulence disparait peu à peu. Et ce faisant, les enfants appartiennent de moins en moins aux forces vives de l’univers, à l’endroit desquelles ils conquierrent une autonomie grandissante (mais jamais totale).
Ainsi, quand on examine de près la pratique de la philosophie avec les enfants, elle nous propose une connaissance, non pas de l’univers physique où les enfants habitent (bien que ce puisse être le cas, mais ce n’est pas le plus important), mais une connaissance d’un univers mental qui habite en chaque enfant et dont l’affrontement victorieux avec l’univers où les enfants habitent fait l’autonomie relative des enfants au sein de l’univers habités par eux.
On pourrait, comme le soulignait G. Guillaume lorsqu’il parlait du langage, «sans abus de mots parler de l’univers du hors-moi et de l’univers de l’en-moi, […] et de leur collision continuée, du drame incessant de leur collision.» (Principes de linguistique théorique de Gustave Guillaume, PUL, Québec, Klincksieck, Paris, 1973, p. 244) Mais on pourrait surtout parler des issues de cette collision, parmi lesquelles se trouvent une diminution de la turbulence de la pensée, laquelle est un signe, dans sa diminution, de l’autonomie, de la puissance de penser développée par les enfants dans ce grand face-à-face que chacun vit: enfant-univers. Quand on présente la philosophie pour enfants, on insiste souvent, avec raison, sur la dimension sociale qui caractérise cette pratique. Cependant, à force d’insister, on en oublie peut-être que le face-à-face enfant-enfant n’est qu’une partie d’un tout beaucoup plus grand qui se résume à: enfant-univers. C’est de ce grand rapport, incluant le plus petit (enfant-enfant) dont il est question lorsque les enfants s’engagent dans la pratique de la philosophie. Et, en pratiquant les habiletés de pensée, notamment celle consistant à réfléchir sur l’acte de réfléchir, ils développent une autonomie, une lucidité qui garantit de plus en plus leur dignité humaine: celle de pouvoir penser par soi-même.