Pourquoi je n’aime pas le mot «débat»! Por que no me gusta la palabra ‘debate’!


Je reviens d’un séjour en Suisse pendant lequel j’ai eu la chance de rencontrer de merveilleuses personnes. Des gens dévoués à l’éducation du petit de l’être humain, des gens heureux de contribuer au développement d’une société meilleure parce qu’habitée par des personnes raisonnables capables de faire preuve de jugement nuancé.

L’une des choses qui m’a beaucoup marqué lors de mon passage en Europe ces derniers jours est l’emploi fréquent du mot «débat» pour décrire la recherche qui est en jeu dans une communauté de recherche philosophique. Le mot «débat» a plusieurs sens et de nombreuses connotations. Parmi celles-ci se trouve la fameuse connotation du débat des chefs pendant la campagne électorale. Que retenons-nous de ces débats? Plus souvent qu’autrement: qui a gagné, qui a perdu?

En ce sens étroit, le mot «débat» est inapproprié pour décrire ce qui se passe dans une communauté de recherche philosophique. Dans un tel contexte, il ne s’agit pas d’un débat, mais d’une délibération. Pourquoi tant insister? Parce que le mot «débat» nous renvoie, sans s’en rendre compte peut-être,  à l’idée qu’un point de vue doit l’emporter sur un autre, peu importe comment nous y parviendrons. Ce qui n’est pas le cas lorsqu’il s’agit de délibérer. La délibération est une recherche et la recherche peut nous mener, non pas à la confrontation de différents points de vue, mais plutôt à la rencontre de ces derniers dans un effort de compréhension visant à réunir cette diversité en une image qui donne un sens élargi à notre expérience.

Bien que le mot «débat» puisse nous renvoyer à «une discussion ou un ensemble de discussions sur un sujet, précis ou de fond, à laquelle prennent part des individus ayant des avis, idées, réflexions, opinions plus ou moins divergents» (Wikipedia), il n’en demeure pas moins que ce mot a une connotation qui nous conduit à penser à la confrontation, à la divergence d’opinions, et à un résultat permettant de croire qu’un point de vue, une position, un argument sera plus fort qu’un autre. Dans une communauté de recherche philosophique, la confrontation de points de vue est bienvenue, mais la recherche ne saurait se limiter à cette confrontation. La recherche philosophique ne vise pas nécessairement à rechercher le point de vue qui devra l’emporter sur tous les autres. Il s’agit d’explorer la diversité des points de vue, d’imaginer comment ils peuvent se combiner entre eux, de voir comment l’objectivité peut être le résultat de l’intersubjectivité, autrement dit de la rencontre des différents points de vue et non du fait qu’un point de vue l’emportera sur les autres.

Parfois, il arrive qu’un point de vue soit à l’honneur car les arguments, exemples, analogies… nous conduisent à penser que ce point de vue a plus de sens, est chargé de plus de vérité que les autres présentés lors de la recherche. Mais ce n’est pas toujours le cas, car la vérité, la signification peuvent avoir plusieurs visages qu’il importe de prendre en considération si l’on souhaite vivre avec l’incertitude. Prenons un exemple pour mieux saisir ce qu’il en est. Supposons que la question à l’ordre du jour soit: est-il toujours mieux de dire la vérité? D’entrée de jeu, certains soutiendront que oui, car, estiment-ils, si on ne dit pas toujours la vérité, la confiance qu’on nous accorde pourra éventuellement être détruite.  Et sans la confiance, on voit difficilement comment il est possible de vivre ensemble de façon harmonieuse.  Qui plus est, l’honnêteté est une valeur fondamentale dans une société fondée sur le respect. Voilà certainement un point de vue digne d’être considéré. Mais d’autres ajouteront que le contexte pourrait aussi être déterminant pour décider s’il est adéquat ou non de dire la vérité. Ainsi, dans un contexte où la vie d’une personne est en jeu, le fait de mentir pourrait être considéré comme une acte approprié. Voilà un autre point de vue qui mérite aussi qu’on lui accorde une attention. Est-ce que l’un ou l’autre de ces points de vue doit l’emporter? Je crois, je pense qu’ils doivent plutôt être considérés comme pouvant se combiner car, chacun, à sa manière, aide à donner du sens à notre vie, à ce que nous croyons juste de dire, de faire ou de ne pas faire.

Évidemment, il n’est pas dit que tous les membres de la communauté de recherche seront d’accord pour combiner ces points de vue. Certains, au terme de la recherche, un terme toujours temporaire, (cent fois sur le métier…) continueront de penser qu’il est toujours préférable de dire la vérité, d’autres qu’il est parfois plus approprié de mentir (selon le contexte). D’autres, convaincus d’emblée qu’un point de vue ou l’autre était le bon auront peut-être changé d’avis en cours de route.  D’autres encore en viendront peut-être à considérer que la nuance s’impose et que le principe a besoin du contexte pour que le jugement soit raisonnable. Mais l’important dans tout cela, ce n’est pas qu’un point de vue l’emporte sur un autre, mais que chacun puisse, pas après pas, fois après fois, être capable de plus en plus de penser par et pour lui-même avec les autres, que chacun puisse, avec l’aide des autres, découvrir de plus en plus qui il est, ce qu’il pense vraiment, quels sont ses critères, sa personne  (et non le point de vue qu’il doit défendre, coûte que coûte parce qu’on lui aurait imposé, par exemple, dans le cadre d’un concours visant à identifier qui est le meilleur «débatteur»). L’important dans tout cela n’est pas d’identifier, parfois à l’aide d’un vote, le point de vue qui doit l’emporter, mais d’apprendre à vivre avec la pluralité des points de vue, avec la diversité des regards, avec l’incertitude de son existence dans ce mystère immense que nous appelons l’univers.

L’important dans une communauté de recherche philosophique, c’est d’apprendre, disait Ann Margaret Sharp, «que le travail de compréhension critique visant de meilleurs jugements consiste à entrer dans l’univers de l’autre». Quelle phrase!  Quelle phrase!  Si lourde de sens pour comprendre ce qui se passe dans une communauté de recherche philosophique.  Un lieu de compréhension mutuelle, et non un lieu où il s’agit d’éliminer l’univers de l’autre au profit du mien qui serait plus vrai! Certes, la vérité est importante, mais qui peut dire, avec certitude, qu’il l’a enfin trouvée cette vérité grâce à la confrontation? Qui peut dire, sans l’ombre d’un doute: voilà ce qui est vrai, surtout lorsque les questions qui sont en jeu touchent les rapports entre les humains? Humain, trop humain, disait une participante d’une des communautés de recherche vécues à Genève cette semaine… Trop humain, car faillible, car petit dans cette immensité de l’univers  dans lequel nous sommes.

Voilà pourquoi je pense qu’il importe de retirer de notre vocabulaire le mot «débat» quand il s’agit de décrire ce qui se passe lorsqu’on contribue à la création d’une communauté de recherche philosophique. La délibération a bien meilleur goût. Certains ne seront pas d’accord avec moi et j’en suis bien content, car je m’avance, comme disait Montaigne, vers celui qui me contredit, vers celui qui m’instruit. L’humilité a sa place, même en philosophie, surtout en philosophie! Une amie, Stella M Accorinti a eu la généreuse idée, et la gentillesse de traduire l’article en espagnol… Le voici:

Acabo de regresar de una estancia en Suiza durante la  cual tuve la oportunidad de conocer a gente maravillosa. Personas  dedicadas a la educación de pequeños seres humanos , gente feliz de contribuir al desarrollo de una sociedad mejor,  habitada  por personas razonables capaces de ejercer un juicio equilibrado. Una de las cosas que me marcaron mucho cuando estuve en Europa en esos días fue  el uso frecuente de la palabra « debate » para describir la investigación en que está involucrada en la comunidad de investigación filosófica. La palabra « debate » tiene muchos significados y muchas connotaciones. Entre ellos se encuentra la  famosa connotación de debate de los líderes durante la campaña electoral. Que recordamos de  estos debates? No más de una cosa: ¿quién ganó, quién perdió? En este sentido estricto, la palabra « debate » es inadecuada para describir lo que sucede en la comunidad de investigación filosófica. En este contexto, no se trata de  un debate, sino de una deliberacion . ¿Por qué la insistencia? Debido a que la palabra « debate » nos lleva sin darnos cuenta tal vez, a la idea de que un punto de vista debe prevalecer sobre el otro, y no importa cómo llegamos allí. Pero este no es el caso cuando se trata de deliberar. La deliberación es una investigación y la investigación nos puede conducir, no a la confrontación de puntos de vista diferentes, sino a su encuentro en un esfuerzo por comprender esta diversidad de reunirnos en una imagen que da un significado más amplio a nuestra experiencia.Aunque la palabra « debate »  puede referir a « una discusión o un conjunto de debates sobre un tema, exacta o de fondo, a la que asisten las personas con opiniones, ideas, pensamientos, opiniones, más o menos divergentes » (Wikipedia ), el hecho es que esta palabra tiene una connotación que nos lleva a pensar en la confrontación, la diferencia de opinión y una calificación por creer en un punto de vista, una posición, un argumento como mas  fuerte que el otro.   En una comunidad de investigación filosófica, la confrontación de puntos de vista es bienvenida, pero la búsqueda no se limita a esta confrontación. La investigación filosófica no pretende necesariamente recabar las opiniones que prevalecerán sobre todas las demás. Se está explorando la diversidad de puntos de vista, para ver cómo se pueden combinar para ver cómo la objetividad puede ser el resultado de la intersubjetividad, es decir, la reunión de los diferentes puntos de vista y no el hecho de que un punto de vista prevalecerá sobre los otros. A veces sucede que un punto de vista es honrado con argumentos, ejemplos, analogías … y eso no lleva a pensar que este punto de vista tiene más sentido, esta cargado con un plus  de verdad mas que los otros argumentos  presentados en la investigación. Pero esto no es siempre el caso, porque el significado de la verdad  puede tener muchas caras que se deben tener en cuenta si queremos vivir con la incertidumbre. Veamos un ejemplo para entender mejor de que se trata. Supongamos que el tema de la agenda será: ¿es siempre mejor decir la verdad? Desde el principio, algunos dirán que sí, porque, dicen, si no  decimos  siempre la verdad, la confianza que nos han otorgado posiblemente podría ser destruida. Y sin confianza, no está claro cómo es posible vivir juntos en armonía. Por otra parte, la honestidad es un valor fundamental en una sociedad basada en el respeto. Este es sin duda un punto digno de vista a considerar. Sin embargo, otros añaden que el contexto puede ser decisivo para decidir si es adecuado o no decir la verdad. Así, en un contexto donde la vida de una persona está en juego, el hecho de la mentira puede ser considerado un acto apropiado. Esta es otra perspectiva que también merece ser objeto de atención. Acaso uno u otro de estos puntos de vista debe prevalecer? Creo que más bien que se debe considerar como se pueden combinar ya que cada una a su manera, ayudan a dar sentido a nuestra vida, a lo que creemos justo decir, hacer o no hacer. Obviamente, no se dice que todos los miembros de la comunidad de investigadores están de acuerdo en combinar estos puntos de vista. Algunos, después de la investigación,   durante un  tiempo continuará pensando que siempre es mejor decir la verdad, y otras veces que es más apropiado mentir (en un contexto). Otros, convencidos desde el principio que un punto de vista o el otro era el correcto  pueden haber cambiado de opinión a lo largo del camino. Otros incluso pueden llegar a creer que son necesarios los matices y que las necesidades principales del contexto deciden cual  juicio es el mas razonable. Pero lo importante en todo esto no es que un punto de vista prevalece sobre el otro, sino que  todo el mundo puede, paso a paso, una y otra vez, ser capaz de pensar cada vez más por y para si mismo y con los demás, que todo el mundo puede, con la ayuda de otros, descubrir cada vez más quién es, lo que realmente piensa, cuáles son sus criterios, (no la opinión  que él tiene que defender a toda costa porque nos lo  hemos impuesto, por ejemplo, como parte de un concurso para determinar quién es el mejor « polemista ». Lo importante en todo esto no es identificar, a veces con un voto, el punto de vista que debe prevalecer, sino  aprender a vivir con la pluralidad de puntos de vista, la diversidad de miradas, con la incertidumbre de nuestra  existencia en este gran misterio que  llamamos el universo. Lo importante de la comunidad de investigación filosófica es aprender, como dijo Ann Margaret Sharp, « que el trabajo de la comprensión crítica de  los mejores juicios es entrar en el mundo del otro. » ¡Qué frase! ¡Qué frase! Esta frase es particularmente significativa para entender lo que sucede en una comunidad de investigación filosófica. Un lugar de comprensión mutua  no es un lugar donde se va a eliminar el universo del otro en beneficio de lo que sería más cierto! Por supuesto, la verdad es importante, pero ¿quién puede decir con certeza que finalmente descubrió esta verdad a través de la confrontación? ¿Quién puede decir sin una sombra de duda: esto es cierto, sobre todo cuando las cuestiones en juego afectan a la relación entre los seres humanos? Humano, demasiado humano, dijo una participante en una de la comunidades de   investigación que visite en Ginebra esta semana … demasiado humano, falible como pequeño en este vasto universo en el que estamos. Por eso creo que es importante eliminar de nuestro vocabulario la palabra « debate » cuando se trata de describir lo que sucede cuando contribuimos a la creación de una comunidad de investigación filosófica. Deliberación sabe mejor. Algunos no estarán de acuerdo conmigo y me alegro porque , como decía Montaigne, el que me contradice, me instruye. La humildad tiene su lugar, incluso en la filosofía, y sobre todo en la filosofía! 

Traduccion: Stella Accorinti. 30 de noviembre de 2014.

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