En philosophie pour enfants, la répétition de l’acte de philosopher permet aux enfants de se construire une langue: celle de la recherche philosophique. Cette langue est, en quelque sorte, une somme d’actes de représentation, mais qui n’ont rien à voir avec l’idée traditionnelle, spéculaire (dirait Rorty) d’une reproduction fidèle de notre expérience. Rien dans cette langue, faite notamment des outils de la pensée, ne ressemble à un miroir où le monde viendrait passivement se peindre avec les traits que nos divers moyens de perception lui prêtent. Ce n’est pas une langue qui contient un ensemble de représentations fondées sur la percevabilité des choses. Ce qu’au contraire on trouve dans cette langue, c’est, toute perception transcendée, une vision mentale de plus en plus inconsciente des choses où il n’est retenu d’elles que les éléments de leur concevabilité.
C’est pour cette raison que la pratique répétée de la philosophie avec les enfants leur donne l’occasion de se construire un réservoir de lucidité qui les conduira à devenir de plus en plus nuancés dans leur jugement. La pratique de la philosophie avec les enfants ne leur apporte pas un savoir (s’il tel est le cas, c’est qu’ils l’auront construit entre eux et il sera toujours possible de le remettre en question), mais un pouvoir de concevoir leur expérience avec le souci de l’auto-correction. C’est déjà beaucoup, quand on songe que, par ce pouvoir, c’est également leur capacité d’entendement qui s’en trouve enrichi.