Les mouvements de la pensée humaine engagée dans une communauté de recherche philosophique (CRP) sont tout aussi nombreux que variés. Le livre Penser ensemble à l’école : des outils pour l’observation d’une communauté de recherche en action fait état d’une centaine de conduites cognitives et sociales présentes dans la CRP. Chacune de ces conduites renvoie à des mouvements de la pensée. Malgré la quantité importante de mouvements de pensée observables dans une communauté de recherche, il est possible de les ramener à quelques mouvements fondamentaux. Ces mouvements de la pensée sont des rapports structuraux inscrits dans la communauté de recherche.
- Rapport du large à l’étroit
Au premier chef des mouvements généraux de la pensée se trouve celui allant du large à l’étroit ou inversement de l’étroit au large. Soit, en figure, sous la forme d’un tenseur binaire, montrant l’aller-retour entre les deux extrémités :
Figure 1
- Rapport entre le tout et la partie
Suit immédiatement le rapport du tout à la partie. En figure :
Figure 2
Telle est, par exemple, la situation lorsqu’un (ou des membres) d’une CRP s’engage(nt) à diviser un tout en ses différentes parties (division ou analyse) ou qu’ils visent à créer un tout à partir des différentes parties qui le composent (composition, synthèse).
- Rapport entre l’universel et le singulier
Ce mouvement du tout vers la partie et inversement peut aussi prendre la forme d’une particularisation ou d’une généralisation. Ainsi, par exemple, lorsqu’un membre d’une CRP s’engage dans une déduction (Tous les animaux sont des êtres vivants, Félix le chat est un animal, donc Félix le chat est un être vivant), sa pensée suit un mouvement de particularisation. Inversement, lorsqu’un membre d’une CRP s’engage dans une induction (J’ai vu un cygne et il était blanc, j’en ai vu un autre et il était blanc, et encore un autre… J’en conclu que tous les cygnes sont blancs), sa pensée suit alors un mouvement de généralisation. Ces deux mouvements sont des modalités d’un mouvement encore plus fondamental consistant à de mouvoir entre le tout et la partie. En figure :
Figure 3
- Rapport entre l’abstrait et le concret
Ce même mouvement, argumenté cette fois sous l’angle de l’abstrait et du concret, pourrait être figuré de la façon suivante :
Figure 4
Les enfants sont constamment en train de passer de l’un (abstrait) à l’autre (concret), notamment lorsqu’ils sont invités à le faire.
- Rapport entre l’hypothèse et le contre-exemple
La même forme de mouvement pourrait être utilisée pour entrevoir cette fois les mouvements qui s’opèrent dans une communauté de recherche au moment où les participants, ayant formulé une hypothèse, tentent de la mettre à l’épreuve en essayant de trouver des contre-exemples et, ayant trouvé ces contre-exemples, construisent une nouvelle hypothèse qui tiendrait compte des contre-exemples trouvés en cours de route. En figure :
Figure 5
- Rapport entre une définition et l’exemple
Le même mouvement est applicable lorsque, partant d’une définition, les participants tentent d’exemplifier celle-ci, et partant des exemples trouvés, essaient de raffiner la définition offerte au départ. En figure :
Figure 6
- Rapport entre une question et une réponse
Un autre mouvement souvent observé dans une communauté de recherche a trait cette fois au rapport entre les questions qui se posent et les réponses qu’on tente de fournir. Une question est plus large qu’une réponse car si celle-ci nous conduit vers un peu plus de connaissance (parfois), la question, elle, nous montre l’océan d’ignorance dans lequel nous sommes. En figure :
Figure 7
- Rapport entre un problème et une solution
La même figure pourrait être utilisée pour illustrer le mouvement entre le problème (question) et la ou les solutions (réponse) :
Figure 8
- Rapport entre critère et contexte
La communauté de recherche philosophique crée des conditions permettant l’avènement de la pensée complexe. Celle-ci se caractérise notamment par le fait qu’elle combine à la fois la pensée critique et la pensée créatrice. La pensée critique est guidée par les critères (elle s’appuie sur un critère pour émettre son jugement) et sensible au contexte (elle tient compte de la situation particulière dans laquelle s’applique le critère) alors que la pensée créatrice est guidée par le contexte (son point de départ est la situation particulière dans laquelle elle se trouve) et est sensible au critère (ne mettant pas de côté les critères qui peuvent guider la création, elle peut conduire à la création de nouveaux critères). En figure :
Figure 9
- Rapport entre un effet et une cause
L’identification des causes aidant à comprendre ou à expliquer une situation, un événement, une réalité (lesquels sont alors vus comme des effets), est une démarche importante dans une communauté de recherche.
Figure 10
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Il est à noter que tous les schémas qui précédent répondent à 3 principes identifiés par le linguiste Gustave Guillaume :
- un rapport structural institué entre deux termes, A et B, ne satisfait à la condition d’entier que s’il est parcouru successivement dans les deux sens: de A en B et, en réplique, de B en A. C’est le principe d’intégrité;
- le mouvement bi-tensif dont le tenseur radical est une configuration emporte avec soi l’interdiction de tout retour au déjà opéré. La successivité ici régnante est celle inhérente au temps qui en fait, sinon en pensée, ne se laisse pas remonter. Ce principe est celui de la non-récurrence;
- dans le tenseur binaire radical, la relation du terme final et du terme initial est celle d’une égalité sous tous les rapports, moins un excepté. Ce principe est celui de la dissimilitude des isomorphes terminaux.