C’est avec grand plaisir que je laisse la place à Antoine Touchette, étudiant en philosophie pour enfants, qui vient de terminer un stage dans le domaine.  Voici son rapport de stage – un journal de bord – racontant l’essentiel des 13 rencontres avec des enfants de 6e année qui, grâce à sa présence, ont pu goûter à la pratique de la philosophie en communauté de recherche.  Son journal de bord en dit long sur le plaisir, mais aussi les difficultés, à vivre une telle expérience avec les enfants.
« Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage » Jean de La Fontaine
Le journal dont vous vous apprêtez à faire la lecture, tente de rendre compte du mieux possible des enjeux auxquels j’ai été confronté en tant qu’animateur de communauté de recherche philosophique (CRP) à ses débuts. Je suis un enseignant qui est encore au début de sa formation. J’ai, par ailleurs, une assez bonne expérience d’interaction avec des groupes scolaires que j’ai développée à travers plusieurs expériences de médiation culturelle. J’ai, entre autres, travaillé pendant dix ans à l’Office National du Film comme animateur et concepteur d’atelier de vulgarisation des principes et des techniques à la base du cinéma. J’y ai fait la découverte qu’en me plaçant au service de la curiosité des enfants, mon travail devenait beaucoup plus agréable et stimulant (pour les participants comme pour moi) que si je me plaçais dans une position plus traditionnelle du type « Écoutez bien les connaissances que j’ai à vous transmettre ». Aujourd’hui, je porte en moi cette conviction et c’est entre autres ce qui m’a porté vers la philosophie pour enfants.
Pourtant, quand je suis arrivé dans cette classe, avec pour mission de former une communauté de recherche philosophique, on dirait que je ne voyais plus ces outils et ces expériences que je possédais. Tout ce que je voyais c’était l’ampleur du travail à accomplir.
Ce stage de treize rencontres a au lieu de la fin janvier à la mi-avril 2016, dans une classe de sixième année d’une école primaire, quelque part au Québec. Les prénoms des participants et de l’enseignante ont été modifiés afin de préserver leur anonymat.
Première rencontre, vendredi 29 janvier 2016, 3e période (10h45-11h45)
J’ai essayé de rester fidèle à mon plan en parlant le moins possible avant de commencer. Ce ne fut pas facile, je crois que j’ai souvent tendance à trop parler dans ce genre de situation, mais je me suis tenu la bride serrée et je crois que cela m’a aidé.
Nous avons fait la lecture des deux premières pages du chapitre trois. J’avais prévu lire trois pages, et me rendre ainsi à la fin de la première partie, mais j’ai choisi d’interrompre la lecture après le deuxième paragraphe de la page 13. Je sentais que le niveau de concentration moyen s’effritait et je trouvais qu’il y avait, de toute façon, beaucoup de substance dans ces deux pages.
J’ai été pris d’un certain vertige à ce moment. Le mot est peut-être un peu fort, disons que j’ai ressenti une certaine inquiétude face à la suite des choses. En les observant, je me rendais compte que beaucoup d’entre eux ne saisissaient qu’une partie (parfois très petite) du texte. Cela en plaçait certains dans un inconfort que je pouvais clairement percevoir. Après la période, Julie m’a confirmé que le texte était d’un niveau difficile pour les capacités moyennes de ses élèves. Cependant, elle ne voyait pas cela nécessairement comme un problème.
Cela a probablement contribué à cette petite angoisse que j’ai ressentie lorsqu’est venu le temps de leur faire rédiger des questions. Arriveraient-ils à formuler des questions?
J’avais aussi l’impression que le groupe n’était pas homogène et que certains élèves étaient plus forts que d’autres, ce que Julie m’a aussi confirmé après le cours. Aussi, je leur ai demandé, pour commencer, de travailler individuellement. S’ils réussissaient à formuler une question, je leur demandais de la prendre en note. Cela m’a permis de remarquer que seulement trois élèves (sur 25) étaient en mesure de formuler une question. Je n’avais pas fait changer la disposition de la classe pour la première rencontre[1] aussi, ils étaient assis en équipe de 5 ou 6. Après quelques minutes, je leur ai donc demandé de travailler en équipe, en demandant à ceux qui avaient déjà écrit une question de travailler avec leur équipe pour en formuler une autre.
Ce malaise que j’avais eu s’est dissipé lorsque j’ai lu les questions écrites au tableau. Je me suis rendu compte de l’importance de la foi dans le succès de cette entreprise (ou de n’importe qu’elle autre entreprise, mais ça, c’est une autre histoire). Par foi j’entends ici une confiance, voire une quasi-certitude que tout va bien aller. Il est normal d’éprouver un doute face à ses propres capacités, face au roman, ou face aux capacités des enfants. L’erreur serait d’agir en fonction de ces doutes. Bien sûr le doute est pertinent dans le cadre d’une pratique réflexive, mais pour ne pas qu’il devienne toxique, il faut faire confiance. Avoir confiance que les outils, le roman et son guide sont pertinents, que la méthode est éprouvée, que les enfants ont un potentiel extraordinaire qui ne demande qu’à être éveillé et qu’en tant qu’animateur, on partage la responsabilité du succès de cette entreprise avec ces trois éléments.
Voici la liste de question qui a été produite :
1- Les pensées de la vraie vie sont-elles plus ou moins réelles que les pensées imaginaires?
2- Est-ce qu’il y a une différence entre les nombres dans l’esprit et en écrit?
3- Pourquoi le chien fait pipi sur tout ce qui ressemble à un arbre?
4- Pourquoi parlent-ils des pensées?
5- Pourquoi on pense?
6- Pourquoi le sandwich de Julia est toujours au thon?
7- Pourquoi Lisa et Julia ont dîné sur la marche de l’escalier de secours
8- Est-ce qu’une pensée est réelle?
2e rencontre, mercredi 3 février 2016, 3e période (10h45-11h45)
Je n’ai malheureusement pas pu enregistrer la séance, car les feuilles d’autorisation n’avaient toujours pas été signées. C’est dommage parce que j’aurais aimé valider, en la réécoutant, certaines impressions que j’ai eues pendant la séance. Aussi, je pense que l’enregistrement est un outil absolument nécessaire pour faire une bonne analyse d’une expérience aussi dense et intense qu’une CRP.
J’avais choisi la question suivant : « Est-ce qu’une pensée est réelle? » La discussion s’est superbement bien passée. D’emblée, les enfants se sont mis à participer et avec une rigueur qui m’a vraiment impressionné. Ils donnaient des exemples, donnaient des raisons, évaluaient des raisons, évaluaient l’envers d’une position et reformulaient les propos de leurs camarades et réfléchissaient sur l’acte de réfléchir! C’était impressionnant.
Mais avec du recul, en reparcourant la liste de questions, je me suis rendu compte que je n’avais peut-être pas choisi la bonne. C’est-à -dire que je ne l’ai peut-être pas choisie en fonction du bon critère. Je me suis accroché, comme à une bouée, à la question qui correspondait le mieux au contenu du guide. J’ai d’ailleurs pris soin de leur dire que toutes leurs questions étaient vraiment intéressantes, mais que j’avais, pour certaines d’entre elles, un peu plus de matériel pour nous aider.
Mais je n’ai pas considéré l’intérêt des élèves ou je l’ai tenu pour acquis peut-être. Oui Wiliam, qui avait formulé la question, avait un grand intérêt pour la question, mais était-il partagé? Mathilde, Annie et Véronique s’étaient aussi posé une question avec Wiliam et cette question (question #7) semblait vraiment les habiter. Bref, d’autres questions, pouvant être jugées à première vue non pertinentes, semblaient susciter plus d’intérêt. Heureusement, les conséquences de mon arrêt arbitraire n’ont pas été dramatiques. Les élèves se sont approprié la question, mais j’ai l’impression qu’elle était peut-être un peu exigeante pour certains.
Avec du recul, je me rends compte que j’étais réticent à l’idée d’explorer une question comme « Pourquoi le sandwich de Julia est toujours au thon? ». J’avais quand même de bonnes raisons de l’être[2]. Mais maintenant qu’on vient de faire une CRP qui nous a amenés, entre autres, à comparer un rêve, une pensée et une hallucination, j’ai l’impression d’avoir donné le ton, d’avoir fait vivre aux élèves ce que je souhaitais accomplir avec eux. Aussi, à la prochaine rencontre, je pense que je vais retourner à la liste de question et leur demander de voter pour la question qu’ils souhaitent aborder. Je vais aussi commencer à leur présenter des habiletés de pensée.
3e rencontre, jeudi 18 février 2016, 3e période (10h45-11h45) *Suppléant*
Les autorisations ne sont pas toutes signées et comme Julie est absente, je fais le choix de ne pas enregistrer la séance.
Comme prévu, j’ai décidé de retourner à la liste de questions, plutôt que de refaire une lecture. Je voulais me reprendre et laisser la chance aux participants de choisir leur question. Ce qui m’a permis d’observer quelque chose d’intéressant. L’intérêt est quelque chose de changeant. L’envie que pouvaient avoir certains élèves pour certaines questions semblait s’être fanée. Peut-être était-ce dû au fait qu’elles étaient un peu plus éloignées (dans le temps) du contexte d’où elles avaient émergé, mais je crois que la dernière discussion avait laissé des traces et une envie de travailler autour de questions qui appellent à des réflexions plus poussées. Car les questions comme : « Pourquoi le sandwich de Julia est toujours au thon? » ou « Pourquoi Lisa et Julia ont dîné sur la marche de l’escalier de secours? » n’ont récolté que quelques votes, alors que la question qui a été choisie à l’unanimité a été: « Pourquoi on pense? ».
Par ailleurs, je me rends compte à quel point il est difficile de ne pas trop parler en tant qu’animateur. Il est pratiquement contre nature pour un adulte de laisser à un enfant, ou à un groupe d’enfants, la responsabilité de la recherche. Je me rends compte que, bien que je sois en accord avec la démarche, bien que je comprenne l’importance de donner à l’enfant la responsabilité de sa propre réflexion, je dois lutter contre mes habitudes d’adulte qui explique comment les choses fonctionnent. Cela est peut-être en lien avec le fait que j’aie deux jeunes enfants qui me posent sans cesse des questions et à qui j’ai tendance à répondre plus souvent qu’à responsabiliser dans leur recherche, mais toujours est-il que j’expérimente plus de difficulté que ce à quoi je m’attendais.
Il y a un moment qui m’a permis d’en prendre conscience dans la discussion aujourd’hui. Laura avait déterminé que, de la même manière que j’avais souligné, en précisant la question, que l’on pouvait interpréter le mot « pourquoi » de deux façons (pour quelle raison et dans quel but), il fallait identifier les différents sens du mot penser. Elle a fait la distinction entre réfléchir, croire et imaginer. Et quand Marjorie a posé la question à savoir si les pensées peuvent influencer notre façon d’agir, Laura a pris la parole pour dire que selon elle, seul le fait de réfléchir pouvait nous amener à poser une action plutôt qu’une autre.
C’est alors que j’ai manqué une bonne occasion de me taire! Je lui ai alors demandé si, selon elle, le fait de croire que Dieu me protège pouvait influencer ma façon d’agir. Au-delà de la pertinence argumentative de cette intervention, mon rôle n’était pas de la dire, mais de chercher à ce que les autres participants s’interrogent et évaluent la théorie de Laura pour éventuellement, peut-être, en arriver à une conclusion équivalente, mais ô combien plus percutante parce qu’elle aurait été la leur!
Heureusement je me suis rendu compte de ce faux pas en le faisant. Aussi quand est venu le temps d’évaluer si notre imagination pouvait influencer notre façon d’agir, plutôt que de m’exprimer, j’ai demandé aux participants s’ils pouvaient imaginer un contexte dans lequel c’était possible. J’ai, d’une certaine façon, récupéré ma gaffe et Luc a fait une intervention très éloquente en citant comme exemple Steve Jobs qui a dû imaginer son ordinateur avant de le construire.
Au final, je ne dois pas oublier mon rôle de maître d’oeuvre. Je dois me concentrer sur la rigueur formelle, le fil de pensée, la clarté et la compréhension de tous. Autrement dit, je dois agir pour les aider à travailler d’une certaine façon, avec une certaine rigueur, mais je dois les laisser travailler par eux-mêmes[3].
4e rencontre, mercredi 24 février 2016, 3e période (10h45-11h45)
Nous avons repris la lecture du troisième chapitre et nous avons terminé l’extrait que j’avais photocopié en prévision de la première séance. Nous avons lu la page treize, à partir du deuxième paragraphe. La lecture a donc été plus courte que lors de la première fois. J’ai l’impression que cela a peut-être contribué au dynamisme de la séance. La première fois la lecture a peut-être duré un peu trop longtemps ce qui fait que certains ont « décroché » et qu’il a été difficile de les faire générer des questions par la suite.
Cette situation m’a permis de voir à quel point il est important d’être à l’écoute du groupe et d’apprendre à le connaître. On ne veut pas qu’ils décrochent, mais en même temps, on ne veut pas niveler vers le bas! On veut les mettre au défi. Aussi, il faut viser un juste équilibre.
Une fois la lecture terminée, nous avons fait la cueillette de question. Elle s’est très bien déroulée. Contrairement à la première fois, tous les participants ont fourni au moins une question. Par contre, je me rends compte que j’ai péché par trop d’enthousiasme. J’ai continué à accepter des questions pendant qu’on en faisait la lecture. Il n’en est pas résulté une catastrophe et les participants qui écrivaient des questions ont été discrets. Mais au bout du compte, je me demande s’il n’est pas payant que certains participants restent avec une certaine frustration de ne pas avoir tout dit… de ne pas avoir tout exprimé ce qu’ils pensaient.
Car, sans vouloir la susciter je pense que cette frustration peut avoir certaines vertus et qu’il est important de l’accepter. Surtout chez ceux qui parlent beaucoup lors des discussions et qui par conséquent ont moins de chance de ressentir cette émotion inhérente à la pratique de philosophie pour enfant, voire du dialogue en groupe. J’ai l’impression que cette émotion est déterminante dans l’apprentissage de l’effacement de l’égo au profit de l’intérêt commun. Apprendre à vivre avec la frustration est peut-être la première étape pour apprendre à prioriser la réflexion du groupe face à l’expression de sa pensée.
Voici la liste de question que nous avons récoltée :
1- Est-ce que ce serait possible qu’on puisse inverser les mots dans une phrase comme « Tous les _____ sont des_____ » et que ça soit vrai?
2- Pourquoi France pensait que les garçons les taquinaient parce qu’elle était une fille?
3- Pourquoi elle rêvait à cela? Pourquoi les animaux avaient quelque chose de différent?
4- Pourquoi on rêve quand on dort?
5- Est-ce que les rêves sont des pensées? Si oui, est-ce qu’ils sont réels?
6- Pourquoi tous les animaux avaient quelque chose de bizarre?
7- Qu’est-ce qui a entraîné la création de l’humanité?
8- Pourquoi sommes-nous devenus des humains?
9- Pourquoi France saute sur les bureaux?
10- Est-ce qu’on peut rêver éveillé?
11- Si on rêve à un sujet précis, pourquoi rêvons-nous à ce sujet précis?
12- Pourquoi les surveillants bloquaient le chemin de France?
13- Est-ce qu’on peut rêver dans un rêve?
14- Sommes-nous dans un rêve?
15- Dans les rêves avons-nous tous nos sens?
16- Dans les rêves de quelle façon sont-ils (les sens) manifestés?
17- Est-ce qu’on peut rêver quand on veut?
(5e rencontre, jeudi 25 février 2016, 3e période (10h45-11h45) ANNULÉ (TEMPÊTE))
5e rencontre, mardi 8 mars 2016, 4e période (13h00-14h00) *Suppléant*
Période difficile. Les participants avaient de la difficulté à rester concentrés. On devait intervenir régulièrement pour les ramener à l’ordre.
Paradoxalement, au début de la séance (je n’avais malheureusement pas commencé l’enregistrement) Wiliam a tenu à prendre la parole pour me remercier de venir dans leur classe chaque semaine pour faire de la philosophie avec eux.
Cette séance m’a fait réfléchir sur la notion d’autorité dans le cadre de la communauté de recherche. Dans le cadre du stage, je m’appuie beaucoup sur l’autorité de l’enseignante titulaire, étant donné que c’est sa classe et qu’elle est normalement toujours présente. Mais je crois aussi avoir une certaine autorité naturelle en lien avec la pratique de la philosophie pour enfants. Je suis l’animateur, donc pour que l’activité fonctionne, on doit écouter et respecter mes consignes. Seulement ce type d’autorité nous donne moins de prise sur les enfants qui ont des comportements non souhaitables. J’ai l’impression par contre que la solution ne réside pas dans un durcissement, mais dans un travail à plus long terme. Ce travail, comme une sorte d’apprivoisement, nécessite, d’une part un certain lâcher-prise, et de l’autre une adresse à la rationalité des enfants. L’objectif est de les amener à se réguler eux-mêmes, sans dépendre toujours d’un adulte pour les rappeler à l’ordre.
Aussi, je compte revenir sur les séances difficiles à chaque fois qu’il y en aura, pour simplement essayer de faire réfléchir les participants sur ce qu’est un comportement utile pour mener à bien les objectifs d’une CRP.
6e rencontre, vendredi 11 mars 2016, 3e période (10h45-11h45)
Retour à la lecture. Nous abordons aujourd’hui la lecture du chapitre 9. Nous nous sommes arrêtés à la ligne 30 de la page 44. J’ai choisi cet extrait en ayant en tête la possibilité de faire des liens entre la pratique de la philosophie pour enfants et le programme d’éthique et culture religieuse. Sans que ce soit une commande précise de la part de l’enseignante, elle m’a dit qu’elle trouverait cela intéressant que l’on aborde certains thèmes.
Ce n’est qu’en regardant la liste de question en rédigeant ce journal, que j’ai réalisé que plusieurs participants ont écrit plus qu’une question, mais que certains n’en ont pas écrit. Depuis le début des rencontres, j’ai remarqué que la classe était très hétérogène. L’enseignante m’a confirmé qu’il y a, dans son groupe, des élèves qui réussissent très bien, et d’autres qui ont des difficultés. J’ai l’impression que cela peut même causer certains complexes d’infériorité et de supériorité.
Il est difficile de ne pas être enthousiaste devant des participants qui aiment participer et qui ont même tendance à relever le niveau. Mais je me rends compte que pour atteindre pleinement les objectifs poursuivis par la PPE, il est important que chacun se sente libre de prendre sa place au sein du groupe. Je pense qu’une clé peut se trouver dans le fait de donner la parole à ceux qui ne parlent pas et, ce faisant, développer l’écoute de ceux qui ont tendance à parler beaucoup.
Voici les questions qui ont été posées suite à la lecture de l’extrait :
1- Si les dieux (ou un Dieu) existent, pourquoi ne viennent-ils pas nous expliquer la vie?
2- Comment sait-on ce qui est bien ou mal?
3- Si Dieu existe, qu’est-ce qu’il fait pour nous aider?
4- Pourquoi M. Patry insistait pour que Denis se tienne debout devant le drapeau?
5- Pourquoi les parents de Denis respectent-ils autant la Bible?
6- Que veut dire la religion pour les non croyants?
7- Pourquoi la religion de Denis l’empêche de se prosterner devant une image?
8- C’est quoi l’exode?
9- Pourquoi croire en Dieu si on n’a aucune preuve qu’il existe?
10- Pourquoi les parents de Denis disent que se prosterner devant un faux dieu est mal?
11- Pourquoi Denis n’est-il pas rebelle devant la réaction de ses parents?
12- Pourquoi Denis pleure?
7e rencontre, mardi 15 mars 2016, 5e période (14h05-15h)
Les élèves ont choisi la question 8 : « C’est quoi l’exode? » Je ne suis pas intervenu avant et je n’ai pas voulu les orienter vers une autre question, bien qu’il s’agisse d’une question de connaissance, et non d’une question philosophique.
D’un côté, je voulais tirer profit de l’intérêt pour cette question, qui était clair et majoritaire, mais de l’autre, je voulais surtout en profiter pour mettre en lumière les principes de recherches présents dans la démarche de philosophie pour enfants.
Cela aurait pu marcher, si j’étais allé jusqu’au bout de mon idée…
Comme le vote avait été fait à la fin de la dernière rencontre, je les avais laissés en leur demandant de revenir à la séance suivante avec des réponses. Mais voilà , personne n’avait fait aucune recherche. Je m’y attendais quand même un peu. Mais plutôt que de tenir mon bout et de les laisser faire la recherche avec les outils disponibles en classe (incluant un TBI), je n’ai suivi mon idée qu’à moitié. C’est-à -dire que j’ai demandé à un élève de faire une recherche sur internet avec le TBI, puis, une fois qu’il est tombé sur la page Wikipedia du livre de l’exode, j’ai pris le relais et je leur ai résumé ce qu’était l’exode.
Une fois la question clarifiée, j’ai pris le temps de faire un retour pour expliquer que dans les périodes de philo, nous allions à l’avenir mettre de côté les questions similaires, c’est-à -dire les questions qui nécessite une acquisition de connaissance, comme ce qu’on venait de faire, pour se concentrer sur des questions sur lesquels on peut réfléchir ensemble parce qu’on a, en nous tout ce qu’il faut pour le faire.
Ensuite, nous avons donc choisi une autre question et c’est la numéro 9 qui a été choisie. Nous avons quant même eu le temps de faire une CRP, mais il nous a manqué de temps et nous avons dû arrêter juste comme cela devenait intéressant.
C’est cette gestion du temps déficiente qui m’a fait me questionner sur ma démarche. J’ai l’impression que j’aurais peut-être dû assumer un peu plus ce que j’avais en tête au départ et « sacrifier » une période pendant laquelle nous aurions quitté la philosophie pour faire une activité orientée sur la recherche, mais qui aurait placé les élèves « au volant » de cette démarche. Bref, pour aller jusqu’au bout, il aurait fallu que je leur demande de faire eux même la recherche et que je ne sois là que comme guide dans cette recherche.
8e rencontre, vendredi 18 mars 2016, 3e période (10h45-11h45)
La question qui a été choisie est: « Pourquoi croire en Dieu si on n’a aucune preuve qu’il existe? » La CRP s’est super bien déroulée, nous avons abordé plusieurs aspects intéressants de la question, Ludovic nous a même raconté comment il lui est arrivé de créer une croyance chez d’autres personnes!
Je m’étais donné comme mandat aujourd’hui de faire participer ceux qui n’avaient pas encore pris la parole ou qui ne parlaient pas souvent. J’ai commencé avec un exercice tiré du guide d’accompagnement que j’ai utilisé pour essayer de clarifier avec eux qu’est-ce qu’une croyance, mais surtout pour pouvoir poser des questions directement à certains d’entre eux. Pour ce faire, j’ai utilisé l’exercice Valeur et convictions qui se trouve à la page 314 du guide.
Avant de faire l’exercice, j’avais spécifié que j’étais curieux d’entendre ceux qui ne participaient pas souvent, aussi, j’ai attendu que ceux-ci lèvent la main, mais j’en ai aussi désigné certains. Cela a permis à certains, dont Kathy, de briser la glace et de prendre la parole pour la première fois. Leur réponse était généralement assez brève et une fois l’exercice terminé, les grands parleurs ont repris le dessus.
Aussi, après un certain temps, j’ai senti le besoin de leur expliquer pourquoi je trouvais cela important d’entendre ceux qui ne parlent pas souvent. Je leur ai expliqué que notre objectif était de réussir à réfléchir ensemble; que dans ce genre d’exercice pour que cela fonctionne, il faut être capable de transmettre sa pensée, mais il faut aussi être capable d’écouter et de comprendre la pensée de l’autre. Certains ont parfois tendance à se concentrer sur un aspect plutôt que l’autre. Je leur ai donc proposé un défi. J’ai proposé à ceux qui parlent souvent d’écouter et à ceux qui ont plus tendance à écouter de prendre la parole. J’ai alors posé une question qui s’adressait encore une fois uniquement à ceux qui ne parlaient pas souvent : « Quelle est la différence entre croire en soi et croire en Dieu?[4] »
Tout d’un coup, le rythme de la CRP a changé, il y a eu un temps un peu plus long avant les premières interventions. Mais ce n’était pas uniquement la gêne qui était la cause de ce ralentissement. Les participants réfléchissaient. J’ai attendu. En attendant, j’ai reformulé la question, posé des questions connexes (ex :Peut-être que vous voyez des similitudes?), comme pour les accompagner dans leur réflexion.
Déjà les interventions ont été un peu plus élaborées que lors du premier exercice. Je sens que non seulement la glace est brisée, mais certains commencent à faire des premiers pas. D’autres parts, il y a eu un peu plus de questions sur les interventions des autres.
C’est comme si le fait de nommer le type d’effort que les participants devaient fournir nous a permis de mettre en place un mode de fonctionnement, une façon d’être et de réfléchir en groupe.
Armand, qui entre dans la catégorie de ceux qui demandent souvent la parole a fait une superbe intervention en ce sens. Il a tout simplement dit : « Je ne suis pas sûr de comprendre où on est rendu… » Il avait essayé de suivre et, à un moment où il ne comprenait plus le fil de pensée, il était intervenu pour demander une clarification! Une fois la clarification faite, je n’ai pas tardé de valoriser son intervention en disant qu’il était important de poser des questions si on se retrouvait dans cette situation.
Au final, en plus d’une CRP très intéressante, on met en place un mode de travail et on nomme des habiletés que l’on souhaite développer! Génial!
9e rencontre, mardi 22 mars 2016, 1ere période (8h10-9h10) *Suppléant*
Retour au roman pour produire une nouvelle série de questions. Nous terminons le chapitre neuf. Une suppléante est présente. Mais le déroulement sera complètement différent cette fois-ci. Les élèves sont plus calmes et plus concentrés. J’ai besoin de faire moins d’interventions pour les ramener à l’ordre. Cela est très probablement lié au fait que l’on soit à la première période, mais cela m’amène quant même à poursuivre ma réflexion sur l’autorité, entamée lors de la cinquième rencontre.
Je sens que ma relation avec le groupe est différente. On commence à se connaître un peu plus. Maintenant, j’hésite rarement quand vient le temps de les interpeller par leurs noms. Étant donné que je suis sur la liste des suppléants, la semaine dernière j’ai remplacé leur enseignante, ce qui m’a permis d’être avec eux dans un contexte un peu différent. Je ne sais pas si cela a joué sur la façon dont certains me perçoivent, mais, à tout le moins, cela s’est ajouté à notre bagage commun, rajoutant une couche à notre relation.
Ainsi comme le Petit Prince avec son renard, j’avance pas à pas.
Même si je suis arrivé en retard ce matin, j’ai pris le temps de leur parler de moi (je leur ai raconté comment je me suis bêtement blessé en voulant faire à mes enfants une démonstration d’autosauvetage en cas d’étouffement). Cela a contrasté avec le ton autoritaire, voire menaçant, de la suppléante qui venait de se présenter et d’annoncer qu’elle serait dans leur classe pour les trois prochains jours.
Je ne dis pas qu’il n’y aura pas d’autres séances difficiles, mais je confirme ma théorie avancée à la cinquième semaine. Le travail à long terme rapporte. Sans forcer les choses, la clé est de bâtir une relation avec le groupe. Aujourd’hui, avec mon anecdote du début, je me rends compte que la relation se développe de plus en plus et que c’est pour cette raison que je me suis senti à l’aise de leur parler un peu de moi.
Voici les questions qui ont été posées suite à la lecture de l’extrait :
1- Le début de quoi? (c’est une question de compréhension de texte que nous avons éclaircie. J’ai relu et expliqué la fin du texte)
2- [Si l’enfer existait et] Si Denis n’écoutait pas la Bible irait-il en enfer? (le présupposé selon lequel l’enfer existe a été dégagé lors de la lecture des questions! Yé!)
3- Pourquoi doit-on trouver une question?
4- Pourquoi avons-nous des cheveux?
5- Pourquoi M.Bélan aime qu’on soit en désaccord avec lui?
6- Qu’est-ce qu’un dieu?
7- Sur quels critères base-t-on le bien ou le mal?
8- Est-ce qu’être en désaccord est bien ou mal?
9- Pourquoi la vie existe?
10- Pourquoi Harry dit que c’est un début tandis que le début est déjà commencé?
11- Pourquoi Denis pense qu’être en désaccord avec ses parents serait un manque de respect?
12- À quoi sert l’école?
10e rencontre, mercredi 23 mars 2016, 3e période (10h45-11h45) *Suppléant*
La période a été un peu plus difficile. J’ai dû faire un peu plus d’interventions, mais nous avons réussi quant même à avoir une très belle discussion. Le processus d’apprivoisement a des hauts et des bas et l’absence de l’enseignante titulaire a vraisemblablement encore une influence sur le sérieux des élèves.
Avant de commencer, j’ai fait quelques mises au point par rapport aux questions. Mathilde et Véronique étaient venues me voir pour me demander de changer leur question, m’avouant que c’était un peu pour « niaiser » qu’ils avaient posé cette question (Pourquoi avons-nous des cheveux?). Je suis donc revenu sur l’importance de poser des questions qui nous importent, mais aussi sur le type de questions qui nous intéressent dans le cadre de la philo, excluant celles qui sont liées à une connaissance que l’on a ou non.
J’ai quand même pris la peine, de soumettre la question au groupe. En gros voici les différentes positions qui ont été présentées : ce sont des cellules mortes dont notre corps se débarrasse; ce sont des cellules vivantes; c’est un vestige de l’évolution; c’est pour nous garder au chaud. Devant un résultat un peu confus et surtout pas unanime, je leur ai demandé de faire une courte recherche d’ici à notre prochaine rencontre, pour revenir avec des informations sur le sujet.
Cette petite parenthèse en début de séance m’a donc permis de revenir sur le type de question que l’on cherche : celles autour desquelles on peut réfléchir ensemble.
Dans l’optique d’intégrer ceux qui participent peu, j’ai voulu choisir la question, plutôt que de faire un vote. Je trouvais la question pertinente et intéressante, mais c’était surtout la première fois que Marc-Antoine participait clairement et directement à l’activité. Il avait formulé cette question seulement après que je lui ai demandé directement (pendant la séance précédente) de faire un petit effort pour formuler au moins une question. C’est là qu’il est arrivé avec la question : « À quoi sert l’école? »
La discussion c’est super bien passée, on a parlé de l’apprentissage, des métiers, de « gagner sa vie », d’apprendre à vivre ensemble… Ils ont même effleuré, sans arriver à le nommer vraiment, le concept du conformisme. Mais Marc-Antoine est tout de même resté en retrait. Pas vraiment concentré sur la discussion, discutant plutôt avec ses voisins immédiats malgré mes interventions.
Quand je lui ai demandé de s’exprimer sur le sujet. Il ne savait pas quoi répondre. Puis, il m’a dit que ça servait à apprendre. Comme s’il avait pigé une réponse, un peu au hasard parmi celles qu’il avait entendues.
C’est là que je me suis trouvé profondément maladroit. Je me suis contenté de cette réponse. J’aurais dû le talonner un peu plus, le confronter, lui demander si selon lui l’école n’était pas utile ou s’il aimait l’école ou non, bref chercher à entendre son vrai point de vue.
Non seulement je n’ai pas saisi cette occasion, mais j’ai rajouté une gaffe par-dessus la précédente. Au lieu de remercier Marc-Antoine et Jérôme pour leur question, ce qui aurait eu pour effet de les valoriser, j’ai plutôt souligné le fait que Marc-Antoine n’y ait pas beaucoup réfléchi avec nous.
Aussi, je compte bien me reprendre lors de la prochaine séance et reprendre la même question, résumer les rôles de l’école que l’on a identifiés et chercher à identifier tous les points de vue des gens présents. Incluant ceux de Marc-Antoine et de Jérôme.
11e rencontre, vendredi 1er avril 2016, 3e période (10h45-11h45)
Julie est de retour. Je commence la séance en leur disant que j’ai terminé la dernière séance avec la sensation qu’on n’avait pas fait le tour de la question et surtout, que tout le monde n’avait pas exprimé leur point de vue sur la question. J’en profite pour remercier Marc-Antoine et Jérôme pour leur question très intéressante et je propose à la communauté de reprendre la même question que l’on a abordée lors de la dernière communauté de recherche philosophique, en demandant à ceux qui n’avaient pas partagé leur point de vue de le faire.
Le fait de revenir sur la question précédente et la façon dont je l’ai justifié ont permis de nommer clairement l’importance des idées divergentes. On dirait que, parce que de nombreuses choses avaient déjà été dites, mais aussi parce que j’ai demandé à ceux qui ne s’étaient pas exprimés de le faire, la communauté de recherche est devenue un espace de réflexion et de communication pour un plus grand nombre de participants.
Depuis le début, les discussions sont toujours très intéressantes, mais j’ai l’impression que, bien que je leur demande de formuler leurs questions et que j’essaie d’être à l’écoute de leurs intérêts, les participants alimentent des réflexions qui ne sont pas complètement les leurs. Ils réfléchissent à ce que je leur demande, mais ils ne réfléchissent pas pour eux-mêmes. J’ai souvent l’impression que, bien qu’ils soient sincères dans leur réflexion, les participants cherchent souvent dans une direction qui soit cohérente avec un point de vue « correct ». C’est-à -dire qu’ils cherchent à répondre à ce qu’on attend d’eux.
Mais aujourd’hui, quelque chose de différent s’est produit. C’est comme s’ils avaient compris que la communauté de recherche n’était pas uniquement quelque chose qui leur demandait de réfléchir, mais qu’il s’agissait aussi d’un outil qui leur permettait de partager, de tester et de consolider leurs opinions.
C’est là qu’on a commencé à explorer des points de vue qui n’étaient pas nécessairement ceux que les participants croyaient que je voulais entendre. On s’est demandé, par exemple, si tout ce qu’on apprenait à l’école était réellement utile et s’il n’y avait pas d’autres façons d’apprendre qu’à l’école. On a réfléchi aussi sur la nécessité de l’école pour son avenir et on s’est demandé si le plaisir était encore présent à l’école et si oui, à quel point.
Donc, en faisant le choix de creuser plus loin la question qui avait été abordée lors de la dernière séance, non seulement cela a mis en place des dispositions qui ont aidé certains participants à s’exprimer, mais cela a aidé d’autres participants à exprimer des idées qui remettaient en question le système d’éducation actuel. Le fait que ceux-ci aient exprimé ces idées dans le contexte spécifique dans lequel nous nous trouvions témoigne d’une certaine indépendance de pensée.
Effectivement, cela exige une certaine indépendance de pensée pour tenir de tel propos quand on est précisément à l’intérieur d’une classe, en compagnie d’un adulte (et observé par leur enseignante) qui, par définition, est une représentation symbolique ou, à tout le moins, une partie intégrale de ce dit système. Il faut être capable de se dégager de ce que le système attend de soi, dans ce cas-ci réfléchir à certaines questions, pour réfléchir à ses propres questions et suivre ses propres intuitions pour faire ses propres découvertes.
12e rencontre, vendredi 8 avril 2016, 3e période (10h45-11h45)
Aujourd’hui, j’ai proposé au groupe de choisir parmi les trois questions de la dernière liste qui portaient sur le désaccord. Ils ont choisi :« Est-ce qu’être en désaccord est bien ou mal? »
C’est l’avant-dernière séance et il me semble qu’on atteint aujourd’hui la vitesse de croisière que je cherchais à atteindre. Les participants sont de plus en plus à l’aise et nombreux à participer et de mon côté, mes interventions, quoiqu’encore un peu trop nombreuses, sont plus souvent au service de la réflexion des participants. C’est-à -dire que j’ai plus tendance à suivre la réflexion des participants en travaillant à la faciliter plutôt qu’à être dans une dynamique de contrôle ou d’alimentation de la discussion.
Aujourd’hui par exemple, à un moment de la discussion, plusieurs participants on prit la parole pour dire sensiblement la même chose : « Ça dépend du contexte. » La discussion tournait un peu en rond. Or, plutôt que de chercher à relancer la discussion dans une autre direction (à l’aide d’un exercice tiré du guide d’accompagnement par exemple) je leur ai demandé s’il était possible d’identifier des critères qui permettent d’identifier un contexte où il est bien d’être en désaccord.
Cela semble évident et banal à postériori, mais je me rends compte que dans le feu de l’action c’est excessivement difficile de faire les bonnes interventions au bon moment. Et sans faire de faux pas! C’est pour ça qu’il faut viser une pratique à long terme, à la longue nos bons coups s’accumulent et aplanissent les accrocs que peuvent causer nos erreurs.
Car animer une CRP, ça donne parfois l’impression de faire de l’unicycle sur un fil en jonglant et en domptant des fauves. Il arrive que l’on échappe quelques balles. Pour moi, la vertu la plus difficile à conserver pour un animateur de CRP c’est son objectivité. Malgré toutes mes bonnes intentions, je me rends compte qu’il m’arrive de m’échapper.
Je pense que c’est lié à plusieurs choses. Le fait de devoir penser à tout de sorte de choses pendant une CRP (comment relancer une discussion qui ne lève pas, comment intégrer des participants qui ne s’impliquent pas, etc.) est un facteur qui n’aide pas. Mais j’ai l’impression, et il me faudrait m’observer animer sur une plus longue période pour le confirmer, que mon manque d’objectivité apparaît plus souvent dans deux types de situations.
Quand les participants arrivent à des conclusions erronées, plutôt que de renvoyer ces conclusions au reste de la communauté en faisant une sorte d’appel au point de vue divergeant (ex :est-ce que tout le monde est d’accord?), il m’arrive comme par réflexe (quand je parle trop) d’exposer moi même les failles du raisonnement en questionnant le participant.
Sinon j’ai remarqué aussi qu’il m’arrive, encore une fois malgré moi, de valider le point de vue de certains participants en faisant un commentaire qui témoigne de mon accord avec lui. Je ne sais pas si cela m’est arrivé souvent, mais c’est arrivé une fois, clairement lors de cette CRP. J’étais très content d’entendre Mathilde se commettre et dire son point de vue de façon claire, elle qui ne participe presque jamais. Aussi, en voulant la valoriser, j’ai senti que je traversais la ligne de l’objectivité et que je me plaçais en accord avec sa position, comme pour lui être solidaire.
Comme quoi les vertus de l’animateur de CRP se développent lentement. Et si l’animateur doit peaufiner sa praxis comme l’eau sculpte la pierre avec patience et constance, il doit aussi apprendre à brider sa faconde et aiguiser sa vigilance tout en prenant garde qu’elle ne s’émousse.
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13e rencontre, jeudi 14 avril 2016, 5e période (14h05-15h)
Dernière rencontre. J’en profite pour faire un bilan avec les participants. Pour ce faire, j’ai un peu laissé tomber la structure habituelle de la CRP pour poser des questions aux participants sur leurs appréciations de l’activité. Cela nous a permis de découvrir comment certains ont vécu la pratique de la philosophie. J’ai choisi de faire ce bilan lors de la dernière séance, mais l’expérience était tellement intéressante que je n’hésiterais pas à le faire même si les séances continuaient ensuite.
Cette discussion a permis aux participants de comprendre comment les autres vivaient et appréciaient cette activité. Kathy, par exemple, est une élève qui ne participait presque pas, jusqu’à ce que je lui pose une question directement (voir 8e rencontre). Elle nous a raconté que chaque soir, les journées où elle avait fait de la philo, elle discutait avec son père jusqu’à 23h des sujets qu’on avait abordés dans la journée. D’autres nous confient qu’ils ont eu de grandes discussions avec les élèves de l’autre classe de 6e (qui n’ont pas de philo) pendant presque toute l’heure du dîner. Bref cela nous a permis de voir comment la philo débordait des séances et à quel point certains appréciaient ce moment. Ce qui a permis de faire une sorte d’édification de l’activité faisant réfléchir certains qui n’avaient pas encore plongé dans l’activité. C’est comme si on en arrivait au constat que : « C’est cool la philo! »
C’est pour ça que j’aurais aimé continuer ensuite. J’aurais été curieux de voir l’impact de cette édification. Aurait-elle eu un impact sur la perception de certains par rapport à l’activité? J’en ai bien l’impression!
***
En conclusion, je suis étonné et extraordinairement satisfait d’avoir réussi à mettre en place une communauté de recherche philosophique à l’intérieur d’un délai si cours. Je trouve ça même déchirant de devoir tout arrêter au point où l’on était rendu. J’ai donc eu l’idée de tester l’intérêt des participants. Je travaille en ce moment à mettre en place une activité parascolaire de philosophie pour enfants. Les élèves de la classe seront bien sûr invités à y participer, mais l’activité sera ouverte à tous les enfants de 10 à 12 ans des environs.
Cette expérience me permettra de tester un contexte différent pour pratiquer la philosophie pour enfants. Je devrai être à l’écoute de cette frustration dont j’ai parlé lors de la 4e rencontre. Si elle est inévitable et qu’elle peut même avoir des effets positifs, il est important que cette frustration ne devienne pas trop grande et qu’elle n’obscurcisse l’expérience. Or dans un groupe formé pour l’activité incluant certains participants qui se connaissent et d’autre qui ne se connaissent pas, et certains qui ont une expérience de la pratique de la philosophie et d’autre pas du tout, il sera d’autant plus important d’être à l’écoute de chacun des membres du groupe.
Par ailleurs, cette frustration est une chose que j’aimerais étudier à l’intérieur d’un autre stage. Est-il réellement possible de faire des liens entre le fait de gérer ce sentiment d’une façon positive et notre capacité à réfléchir, voire à travailler en groupe? Est-elle vraiment inévitable? Prend-elle la même forme ou la même intensité chez tous les participants? Sinon quels sont les critères qui l’influencent?
Finalement, s’il est une chose que le certificat en philosophie pour enfants m’a fait prendre conscience, c’est la complexité et la profondeur du travail de philosophe pour enfants. J’utilise le terme philosophe pour enfant, car il y a dans ce terme une avenue qui gagnerait à être exploitée. Je ne remets pas en doute l’entreprise de former certains enseignants à la philosophie, mais j’ai l’impression que la formule que j’ai expérimentée lors de ce stage offre de nombreux avantages. Cette expérience m’a fait réfléchir sur la formule idéale pour l’implantation de l’enseignement de la philosophie dans nos écoles. Et si, en plus d’une infirmière, d’une bibliothécaire, d’un orthopédagogue et d’un prof de musique, les écoles pouvaient avoir au sein de leur équipe un philosophe scolaire?
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[1]   Je me rend compte maintenant que cette méthode ne m’a pas aidé. En n’osant pas déranger, je me suis privé de l’effet de rupture que produit le fait de se mettre en cercle. Cette hésitation, ou plutôt ce manque d’assurance a certainement influancé la suite des choses. À l’inverse, si j’avais pris la peine dès le départ de les bousculer j’aurais envoyé un message clair que ce que nous allions faire allait rompre avec la routine et avec les façons de faire dans cette classe.
[2]   La principale de ces raisons était que je n’y voyais pas de contenu philosophique. Or je me rend compte qu’on peut induire du contenu philosophique à n’importe quelle question, en relaçant d’autres questions. Si cette question avait été choisie, j’aurais très bien pu relancer des questions comme : « Est-ce qu’il y a des choses qui ne change pas? » ou « Est-ce qu’on peut manger toujours la même chose et toujours aimer cette chose? » et de là , « Qu’est-ce que ça veut dire aimer quelque chose? ». Bref notre seule limite c’est notre propre maîtrise des notions philosophiques (d’où l’utilité des guides et d’une formation continue!) pour être en mesure de les relier avec les questions des participants.
[3]   Mais, en même temps, le travail de l’animateur est d’alimenter la CRP et d’y induire des notions philosophiques.
[4]   J’ai choisi de poser cette question en particulier parce que je sentais, depuis le début de la discussion un préjugé négatif envers toute forme de croyances et envers ceux qui pouvaient avoir ces croyances. Mon objectif était de les faire réfléchir sur des formes de croyances plus près de leur réalité.
Ping : Atelier philo du mardi, première séance | Regards philosophiques - Le blog d'Amélie Pinset.
Cher collègue ,
À mon tour de vous annoncer la publication d’un « Guide de résolution de conflits en équipe » aux Presses de l’Université du Québec. ll contient plusieurs éléments de théoriques de la communauté de recherche philosophique.
Au plaisir de vous rencontrer au symposium en Belgique.
Cordialement,
Ina Motoi, PH.D. Professeure Responsable de la maîtrise en travail social Responsable du microprogramme de 1er cycle en résolution de conflit Département de développement humain et social Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) 445, boulevard de l’Université Rouyn-Noranda, J9X 5E4, Québec (819) 762-0971 poste 2324 ina.motoi@uqat.ca ________________________________
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