Dewey et Lipman: en quête d’une éducation pour la pensée

Lipman et Dewey

Il me fait grand plaisir de laisser la place à Samuel Nepton pour le prochain billet qui aborde des liens entre John Dewey (à gauche) et Matthew Lipman.

Samuel, qui est maintenant au doctorat, a produit une maîtrise en philosophie pour les enfants portant sur la notion de sens en éducation et tout particulièrement dans la philosophie de l’éducation de John Dewey.  Il connait très bien la philosophie pour les enfants et est notamment formateur pour l’organisme SEVE Formation Canada.

Introduction

La philosophie se pratique dans le dialogue. C’est une petite phrase lourde de sens et de conséquences et dont témoignent philosophiquement chaque jour les communautés de recherche, un peu partout sur le globe. En fait, cette idée même d’un programme de philosophie pour enfants, Matthew Lipman ne l’a pas forgée seul, depuis le néant. Elle est bien plutôt le produit d’un dialogue entre son auteur et plusieurs penseurs, hommes et femmes, disséminés à travers le temps et l’espace, et rapprochés par l’entremise de l’écriture. On pourrait mentionner parmi ses divers collaborateurs G. H. Mead ou bien C. S. Peirce, L. Vygotski ou plus simplement Platon. Toutefois, l’interlocuteur le plus précieux de Lipman, celui dont l’influence est la plus manifeste, est à plusieurs égards le philosophe pragmatiste américain John Dewey, l’un des plus influents penseurs de l’éducation du 20e aux États-Unis. Lipman affirmait à ce sujet que : « [j]e considère le programme d’enseignement de la philosophie aux enfants dans la mouvance de la pensée de Dewey[1] ». Un lecteur de ces deux auteurs arrivera inexorablement à cette même conclusion tant les liens qui les unissent sont profonds et puissants. Par ailleurs, quelqu’un qui désirerait trouver un mot pour résumer ce qu’ils ont de commun se retrouverait devant l’embarras du choix. Certains vous diront que « le sens » les unit, d’autres qu’il s’agit plutôt de « la démocratie ». Toutefois, pour ce billet et afin de faire court, nous montrerons comment « l’enquête », au moins de la façon la plus évidente, relie Dewey et Lipman. Voici pourquoi.

Enseignement pour la pensée

En premier lieu, avant tout système théorique, c’est d’abord la fin qu’ils visent qui unit Lipman et Dewey : celle de repenser l’éducation. En effet, Dewey était convaincu que l’éducation de son époque était déficiente, et ce, parce qu’elle se trouvait coupable d’une grave erreur : avoir confondu les produits finis et raffinés de l’enquête avec la matière brute et grossière de l’enquête. En d’autres termes, l’école, encore aujourd’hui, essaie le plus souvent de faire apprendre aux enfants des solutions plutôt que de les amener à apprendre la méthode pour investiguer leurs problèmes. Dewey, aux yeux de Lipman, est celui qui a le mieux entrevu comment l’éducation se devait d’être améliorée pour développer la pensée bien davantage que la transmission du savoir. Il s’agit, pour ces deux philosophes, d’un important, mais nécessaire changement de paradigme dans l’histoire de l’éducation : enseigner la méthode de l’enquête plutôt que ses résultats. Chacun à leur façon, ils ont tous deux voulu faire de l’école un lieu qui enseigne comment chercher ; chaque étudiant devant apprendre comment devenir (et comment demeurer) un enquêteur.

À cet égard, nous avons tous déjà entendu une fois cette célèbre citation de Mark Twain : « Ne laissez pas l’école interférer avec votre éducation ». Si l’on comprend cette phrase, si elle possède un sens, c’est parce qu’intuitivement nous saisissons que l’éducation relève de l’apprentissage de la pensée, et que l’école échoue trop souvent à rejoindre cette fin. Dewey et Lipman, eux, n’ont aucun doute sur le fait que ce qu’il devrait y avoir dans une salle de classe, ce sont des élèves en train de penser plutôt que d’écouter. Cette pensée, il est du devoir de l’école d’en faire une habilité indépendante, imaginative et pleine de ressources. À leurs yeux, l’éducation, c’est le processus par lequel on amène les enfants à croître dans leur capacité même à croître. C’est en la concevant de cette façon que l’on peut espérer concrètement amener les élèves à devenir des personnes autonomes, préparées à réagir adéquatement à toutes leurs difficultés présentes et futures, et ce, peu importe le domaine de leur vie. Ce changement implique conséquemment qu’un accent soit placé sur l’acquisition des habilités (certains diront des « compétences ») qui facilitent l’acquisition d’autres et nouvelles habilités. C’est pourquoi Dewey a cru bon de placer l’enquête scientifique au sein de la salle de classe et d’en faire le modèle du processus éducatif.

Par contre, s’ils partagent la même fin, faire de l’école un lieu où l’on apprend à penser, Dewey et Lipman vont diverger (pour mieux se retrouver) quant aux moyens pour y arriver. En effet, Lipman retient ceci de Dewey : l’important n’est pas de « connaître la science », mais bien de « penser scientifiquement[2] ». Si Lipman critique alors Dewey, ce n’est seulement que pour pousser plus loin encore sa pensée. En effet, Lipman reconnaît une difficulté à l’approche de son « mentor » : la pensée n’est peut-être pas une alliée aussi naturelle à la science que Dewey le pensait. Pour Lipman, la fin visée par Dewey, l’enseignement de la pensée, pouvait être atteinte grâce à un moyen encore mieux adapté que la science: la philosophie. Après tout, n’est-ce pas à la pensée philosophique que l’on associe traditionnellement l’excellence de la réflexion ? Outre la tradition, Lipman avait bien évidemment plusieurs raisons pour justifier cette idée. D’une part, la philosophie est une enquête conceptuelle, c’est-à-dire la plus pure des enquêtes et la plus accessible à tous et à toutes, même aux jeunes enfants. D’autre part, plusieurs aspects de notre monde, particulièrement ceux qui se rapportent à la conduite humaine, ne peuvent pas être abordés ni formulés avec la précision et la rigueur que l’on connaît et qui caractérise l’enquête scientifique. C’est donc en visant à son tour un enseignement pour la pensée que Lipman a entreprit d’approfondir l’entreprise de Dewey et de penser son programme en suivant les grandes lignes de l’enquête philosophique.

Le savoir

Désormais, il est aisé de comprendre pourquoi Dewey et Lipman s’entendent pour dire qu’une éducation composée des seuls enseignements magistraux est insuffisante pour les enfants. Le savoir correspond aux produits des enquêtes passées, c’est-à-dire qu’il représente les objets que les grandes personnes ont établis, ordonnés et organisés de manière rationnelle. Ce sont des bonnes réponses à des problèmes que des gens, dans le passé, se sont posés. En d’autres termes, le savoir est descriptif. La pensée, au contraire, est prospective. Elle cherche à outrepasser une perturbation occasionnée par un déséquilibre ou en des termes plus simples : penser, c’est chercher à résoudre un problème, à se doter d’un savoir. Préférer l’éducation pour la pensée, comme le font nos deux philosophes, c’est reconnaître que si les enfants ne peuvent pas concevoir leur propre solution avec l’aide de leur professeur et trouver leur propre façon de résoudre le problème, ils n’apprendront pas. À ce propos, Dewey affirmait que l’une des plus grandes erreurs que font les pédagogues est de penser qu’un matériel bien travaillé par un auteur permet plus facilement le passage de l’intelligence entre la matière et l’élève. Ce n’est qu’en travaillant avec du matériel brut et en le soumettant à une manipulation réfléchie et orientée vers un but que l’élève pourra acquérir l’intelligence qui se présentera dans le produit fini, et ce, parce qu’il en sera lui-même l’auteur. L’objectif, en bref, c’est d’éveiller et de guider la curiosité. Cette curiosité des étudiants est alors mille fois mieux stimulée par l’expérience vivante que par des textes disséqués et formellement organisés. C’est pourquoi Dewey proposait d’engager les enfants dans des situations complexes et difficiles (pour leur âge) de façon à ce que le savoir développé soit lié à des problèmes que les enfants auront vécus et qui les intéresseront.

Lipman incarne cette même idée, mais différemment, par le biais de la philosophie. En effet, c’est dans cette optique que les romans écrits par Matthew Lipman et Ann-Margaret Sharp ne présentent pas la philosophie selon sa « logique » pour mieux permettre de véhiculer l’intelligence. Les livres en philosophie pour enfants sont d’abord et avant tout des ouvrages de questions. La philosophie que l’on y rencontre est brute, comme le souhaitait Dewey, et les problèmes que l’on y soulève sont souvent les mêmes que les grands philosophes ont abordés et sur lesquels ils ont investi tant d’efforts. C’est précisément parce que ces textes font naitre de vraies questions chez les élèves, des problèmes vivant comme le disait Paul Valéry, que les outils et les idées que les enfants découvriront ou construiront auront un sens : ce seront des outils développés, construits ou appris afin de faire face à leurs difficultés. Ce seront de vrais savoirs.

Dewey et Lipman partagent ainsi tous les deux une même conception de l’apprentissage dont l’idée centrale peut parfois sembler contre-intuitive pour les enseignants : la véritable influence du professeur dans le processus éducatif réside dans sa capacité à jouer avec les conditions au sein de la salle de classe. Pour le dire autrement, pour Dewey et Lipman, on enseigne toujours indirectement. Puisque le savoir n’est réellement tel qu’en relation avec un problème et qu’il ne devient tel que si l’apprenant s’est engagé à penser, à enquêter, alors ces philosophes en ont conclu que le véritable savoir, le produit d’une enquête, ne peut jamais se transmettre directement. Dewey l’affirme lorsqu’il énonce que : « no thought, no idea, can possibly be conveyed as an idea form one person to another[3] ». On retrouve cette même idée au cœur de la pensée de Lipman et formulée en ces termes : « Meanings cannot be dispensed. They cannot be given or handed out to children[4] ». Lorsque le professeur énonce une idée, elle est, pour les étudiants qui l’entendent, un autre fait donné, non pas une idée (quelque chose qui a un sens). Ce que l’auditeur reçoit directement ne peut donc jamais être une idée. Le cours magistral, au mieux, peut « éveiller la pensée » s’il parvient à amener l’autre à se poser pour lui-même la question et donc à construire sa propre idée et son propre savoir. Par contre, nous comprendrons qu’il y a un danger dans l’exposé, trop souvent retrouvé d’ailleurs dans l’enseignement magistral : celui d’étouffer l’intérêt des élèves et de supprimer l’éveil d’efforts pour penser, pourtant l’objectif même de l’école.

L’intérêt

Ainsi donc, enseigner pour la pensée, c’est enseigner par les problèmes. Toutefois, il est important de bien comprendre ce que l’on entend par « problème ». Alors que les manuels de mathématiques sont dits être remplis de problèmes, il n’est pas exagéré d’affirmer qu’une infirme partie de ces difficultés sont de véritables « problèmes » pour les enfants. Mais ce ne sont pas tous les enfants qui ont un « intérêt » pour ces derniers. Néanmoins, on leur demande pourtant d’être motivé à leur égard et de penser avec eux. Lipman et Dewey ont donc cherché à ancrer leur programme dans ou depuis les intérêts des jeunes. Trop souvent, le savoir que les enfants apprennent à l’école, les outils dont ils en sortent disposés, sont regardés par ces derniers comme étant sans lien avec leur vie[5]. « Ç’a pas rapport ! » disent-ils. Ils en viennent alors à ne voir (ou pire, à ne rechercher) que ce qui a rapport avec les examens finaux qui les rapprocheront enfin du moment où ils pourront entrer dans la « vraie » vie. Après tout, encore aujourd’hui, la question la plus demandée à l’école n’est-elle pas : « est-ce que ce sera à l’examen ? » Les problèmes, essentiels pour engager la pensée, doivent donc être des problèmes qui émanent et qui surviennent de l’expérience des enfants. L’attention doit être portée sur des enjeux qui rendent vraiment perplexes les enfants. Dewey écrivait que l’éducation, si elle voulait atteindre ses fins, autant à l’égard de l’enfant qu’à l’égard de la société, devait être fondée sur l’expérience. Or, l’expérience est toujours l’expérience actuelle et vitale de quelqu’un[6].

Le respect de l’élève comme tout

Enseigner pour la pensée, c’est enseigner à réfléchir sur son expérience dans toute sa complexité. Dewey et Lipman sont également unis dans leur souci commun de respecter l’enfant et son expérience comme tout. Or, enseigner les disciplines selon leur logique, selon les bonnes réponses des adultes disions-nous, possède souvent comme lourde conséquence sur l’éducation d’entraîner une fragmentation de l’expérience des élèves[7]. Dans une journée d’école typique, l’élève passe du français aux mathématiques, de la chimie à la physique, en passant par la géographie. Ce qu’il rencontre et apprend alors, c’est toute une série de présentations spécialisées et déconnectées les unes des autres. S’il se sert alors de ce qu’il apprend pour mieux comprendre le monde et son expérience, il résultera inexorablement un effet de fractionnement. Il y aura un monde économique, un monde mathématique, un monde de l’art, etc. Les disciplines ressemblent alors, pour reprendre une image de Lipman, à des glaçons respectivement figés dans leur compartiment, inertes et incapables d’interagir l’un et l’autre[8]. Afin de présenter un survol de champs particuliers, on obtient comme résultat des disciplines qui tendent à se refermer sur elles-mêmes et un monde qui a de moins en moins de sens. Dewey avait pensé à utiliser les activités du jeu et du travail pour résoudre ce problème: conserver l’unité de l’expérience. En établissant par exemple un jardin communautaire dont la classe devrait s’occuper, on se dote d’un noyau, d’un intérêt vital, à partir duquel relier et présenter les différentes « disciplines ». Lipman partage encore la même visée, mais nuance une fois de plus Dewey quant aux moyens. En effet, s’il ne dit pas que Dewey a tort de penser à une éducation qui réconcilierait la main et le cerveau, il propose d’utiliser la philosophie pour unifier le cursus. Puisqu’elle est la discipline qui traverse toutes les autres par l’entremise de ses questions et de ses sous-disciplines, apprendre à enquêter et à penser philosophiquement, c’est le meilleur moyen pour l’enfant de voir comment les différents champs du savoir font partie, au fond, du seul et unique monde dans lequel il est appelé à évoluer.

La démocratie

Ce monde dans lequel l’enfant est appelé à évoluer, dans lequel il doit apprendre à se faire une place, dans lequel les problèmes les plus compliqués lui feront face, est en premier lieu un monde social. Enseigner pour la pensée, respecter l’élève et son expérience comme tout, donner un sens à l’enseignement, c’est ainsi chercher, tel que l’ont fait Dewey et Lipman, à penser l’éducation par les relations. Ces relations ou ces liens doivent se retrouver au sein de la vie de l’enfant ; il doit comprendre quel est « le rapport », il doit travailler depuis ses intérêts. Mais ces relations doivent aussi se retrouver au sein de la classe, entre l’élève, ses collègues et leur professeur. Respecter l’enfant dans sa totalité, c’est notamment reconnaître que l’enfant est d’abord et avant tout un être social qui apprend avec les autres et avec l’aide des autres. Les pédagogies de Dewey et de Lipman impliquent que les élèves mettent en commun leurs savoirs, leurs expériences et leurs ignorances, qu’ils enquêtent ensemble pour apprendre au lieu de « compétitionner ». Ils partagent tous les deux à ce sujet la même idée : rien n’aiguise davantage le raisonnement, les habilités de pensée et d’enquête, qu’un dialogue discipliné au sein de la salle de classe[9]. La meilleure façon d’amener les enfants à penser et de les amener à progresser dans cette pensée, c’est donc de les amener à chercher entre eux, à dialoguer entre eux. Quelle chance qu’ils aiment autant parler !

Ce n’est donc en rien un hasard si John Dewey avait un respect sans limites pour la démocratie ; son œuvre maîtresse Democraty and education en est par ailleurs un excellent témoignage. Or, Matthew Lipman et Ann-Margaret Sharp ne la tenaient pas en moindre estime. Pour ces différents penseurs, la démocratie est au fond bien plus qu’une forme de gouvernement : il s’agit d’un type d’organisation sociale, un mode de vie associative, une façon de vivre en communauté. Pourquoi ? Parce que la démocratie, c’est l’enquête appliquée à la vie sociale. Pour Dewey, science et démocratie sont presque des synonymes : il faut les voir comme ayant fondamentalement la même structure, la même forme d’organisation de l’expérience : celle qui vise à maximiser la perception et la création de relations. Dans la démocratie, la vie sociale est organisée de manière à créer le plus facilement des relations sociales entre les gens et à permettre le plus efficacement la libre interaction et le partage de l’expérience entre les individus. Mais il ne faut pas oublier que la démocratie, c’est également une forme d’organisation humaine qui permet la résolution en commun de problèmes collectifs. Vivre en démocratie, Dewey et Lipman diraient, c’est enquêter en communauté, c’est penser ensemble pour résoudre nos problèmes ; des problèmes qui découlent bien souvent du fait même que nous vivons en communauté. Vivre en communauté et en démocratie, c’est en soi un acte éducatif.

Conclusion

De fait, le lien le plus évident entre John Dewey et Matthew Lipman, c’est donc peut être, en définitive, la communauté de recherche elle-même ; une communauté de recherche qui fut d’abord scientifique pour l’un, puis philosophique pour l’autre. Mais malgré le fait que Lipman ait remplacé la science par la philosophie comme cœur de l’éducation, Dewey et lui ne s’opposent aucunement : ils sont plutôt complémentaires. Il est tout à fait possible d’imaginer une école comme la pensait Dewey et dans laquelle la philosophie occuperait une place centrale. Dewey était peut-être trop absorbé par sa mission, faire de l’éducation une pédagogie par l’enquête, pour se rendre compte que l’enquête ne se pas borne pas uniquement à la science. Si Lipman approfondit Dewey, c’est en montrant comment il est possible d’apprendre à penser et à enquêter dans toutes les disciplines, bien qu’un domaine en particulier possède certains avantages que n’ont pas les autres. L’essentiel, la raison d’être de ce changement de paradigme en éducation, c’est d’amener les enfants à penser par et pour eux-mêmes, comme le dit l’expression clef de Lipman. Cette expression, Dewey l’aurait même qualifié de pléonasme, puisque si on ne pense pas pour soi-même, on ne pense pas vraiment[10]. Pour Dewey et Lipman, enseigner, c’est apprendre comment penser par et pour soi-même ; c’est enseigner l’autonomie. L’un des plus beaux passages de Dewey résume bien pourquoi :

« For we live not in a settled and finished world, but in one which is going on, and where our main task is prospective, and where retrospect – and all knowledge as distinct from thought is retrospect – is of value in the solidity, security, and fertility it affords our dealing with the future[11] ».

Apprendre à penser, c’est apprendre par conséquent comment faire face à son futur, à ce qui n’est écrit dans aucun manuel. C’est apprendre comment se passer du professeur et comment le devenir pour soi. C’est en ce sens que Lipman insiste sur la formation du jugement de façon à ce que nous puissions modifier par nous-mêmes nos vies, et ce, plus judicieusement[12].

Pour conclure, pourquoi ne pas s’imaginer ce que Dewey, celui qui concevait l’éducation comme une reconstruction continue de l’expérience ou une autocorrection constante, aurait pensé du programme de philosophie pour enfant, s’il avait pu en discuter avec Lipman de son vivant ? Peut-être aurait-il lui-même reconnu que la philosophie était mieux adaptée pour atteindre la fin qu’il recherchait que ne l’était la science ? Après tout, Dewey est celui qui a écrit que : « philosophy may even be defined as the general theory of education[13] ». Pourquoi diable est-elle donc toujours aussi absente de nos écoles ? C’est à cette question qu’il nous faut désormais nous attaquer et changer ensuite les choses de manière à ce que l’on n’ait plus besoin de se la poser.

 

[1] Revue Philosophiques, 12 (2), automne 1985, p. 399

[2] Lipman, M. (1988), Philosophy goes to school, Philadelphia, Temple University Press, p. 67

[3] Dewey, J. (1939), Democracy and education: an introduction to the philosophy of education, New York, The Macmillan Company, p. 188.

[4] Lipman, M. et al. (1980), Philosophy in the classroom, Philadelphia, Temple University Press, p. 13.

[5] Lipman, M. (2003), Thinking in education, New York, Cambridge University Press, p. 29.

[6] Dewey, J. (1994), Experience and education, New York, Collier Book, p. 89.

[7] Lipman, M. et al. (1980), Philosophy in the classroom, p. 26.

[8] Lipman, M. (1988), Philosophy goes to school, p. 54.

[9] Lipman, M. (1988), Philosophy goes to school, p. 4.

[10] Dewey, J. (1939), Democracy and education, p. 353.

[11] Ibid. p. 178.

[12] Lipman, M. (2003), Thinking in education, p. 26.

[13] Dewey, J. (1939), Democracy and education, p. 383.

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