Pourquoi j’aime autant la philosophie pour enfants ?

Il me fait grand plaisir de laisser la place à mon ami et collègue, Samuel Nepton, pour le prochain billet.  Adoptant une posture bien personnelle, il nous révèle des raisons de son amour pour la philosophe pour enfants. Comment ne pas les partager? Merci Samuel!

Quand j’ai commencé mes études universitaires, je savais que je voulais devenir professeur de philosophie. En fait, j’avais même pour but de devenir le meilleur professeur de philosophie possible – rien que cela. En réfléchissant à cette question, j’en suis venu progressivement à comprendre qu’une telle mission pouvait se décliner en trois sous-objectifs : devenir le meilleur philosophe possible, le meilleur professeur possible et le meilleur être humain possible. Dès lors, il me semblait évident que pour atteindre mon but, il me fallait d’abord étudier en philosophie, puis suivre un programme en enseignement, tout en travaillant à ma croissance personnelle. Lorsque j’ai découvert la philosophie pour enfants, ma vision des choses a bien changé. En effet, je me suis rendu compte que la philosophie pour enfants me permettait d’accomplir mes trois objectifs à la fois ! Mieux : elle m’a demandé de revoir la manière dont je les comprenais. Je m’explique.

En premier lieu, si la philosophie pour enfants nous permet de devenir de meilleur(e)s philosophes, c’est parce qu’elle nous permet de véritablement philosopher – ce qui n’est pas toujours le cas, même à l’université. Personnellement, en multipliant les communautés de recherche philosophique (CRP) à travers les années, j’ai voyagé à travers un nombre innombrable d’occasions de réfléchir profondément à des questions aussi fondamentales que concrètes, et ce, d’un bout à l’autre du spectre philosophique. En effet, j’ai affiné mes interrogations logiques lorsqu’entre amis, nous nous sommes questionnés pour comprendre pourquoi ce qui était vrai de certains touts ne l’était pas nécessairement de leurs parties. J’ai traîné en éthique afin de déterminer s’il était souhaitable d’agir en fonction des conséquences ou bien de nos intentions. J’ai fait de longues pauses en esthétique lorsque nous nous creusions les méninges pour savoir si l’art vise le beau. De telles pauses expliquent bien évidemment mes nombreux détours vers la métaphysique où nous nous sommes finalement demandé qu’est-ce que ça pouvait bien être que « le beau ». Enfin, je ne pourrais bien évidemment oublier ces incessants aller-retour vers l’épistémologie où nous nous demandions si nous étions vraiment en train d’apprendre quelque chose avec tout cela. Pouvions-nous être certain de la conclusion à laquelle nous arrivions ? Aurions-nous pu nous y prendre autrement ? Pratiquer la philosophie pour enfants, c’est, à mon avis, un incroyable moyen pour quiconque désire redécouvrir à chaque fois la philosophie ; pour quiconque désire retomber amoureux de ces moments d’étonnements et de recherche qui la caractérise si bien. Plutôt que d’apprendre seulement ce que Platon ou Descartes ont pensé, elle nous invite à penser nous-mêmes avec eux. Autrement dit, elle nous rend meilleurs philosophes, parce qu’elle nous maintient jeunes, éveillés, en contact même avec le moteur de cette aventure qu’est philosopher.

Bien évidemment, suite à ce qui précède, le lecteur aura déjà une bonne idée pour laquelle la philosophie pour enfants nous aide également à devenir de meilleur(e)s professeur(e)s. Il est d’ores et déjà évident qu’elle maintient celui ou celle qui la pratique passionné(e) et que cette passion est contagieuse. Néanmoins, si je voulais creuser encore davantage, je dois dire que personnellement, elle me permet de devenir un meilleur professeur parce qu’elle m’a amené à revoir ce que j’entendais par l’«éducation» elle-même. Pourquoi y a-t-il un avant et un après découverte de la philosophie pour enfants dans mon parcours universitaire ? Comment est-ce que quelques cours – à peine quatre fins de semaine la première fois – ont-ils pu me changer autant ? C’est parce que j’ai découvert le genre de professeur que je voulais être avec la manière concrète pour y parvenir.

J’y ai découvert qu’enseigner, c’est moins transmettre de la matière que d’enseigner à penser… peu importe la matière. Si cela est évident en philosophie – où il faut toujours se méfier de la personne qui dit avoir «la bonne réponse» –, c’est également vrai pour toutes les autres matières : il s’agit moins d’apprendre les mathématiques que d’apprendre à penser mathématiquement ; moins d’apprendre la science qu’à penser scientifiquement ou, pourquoi pas, moins d’apprendre le français que d’apprendre à penser grammaticalement. Animer régulièrement des CRP, chercher à mettre les autresau défi de penser, à les mettre en relation et à les amener à travailler à la coconstruction d’un sens, c’est être au premier plan d’un processus qui change profondément ses participant(e)s : ils(elles) apprennent et recherchent comment penser par et pour eux-mêmes. En d’autres termes, la philosophie pour enfants nous permet de devenir de meilleur(e)s professeur(e)s, parce qu’elle nous rappelle qu’éduquer, c’est avant tout former la pensée et que pour y parvenir, il n’y a rien comme de mettre les autres au défi de penser.

Enfin et pour terminer par le plus important, la philosophie pour enfants nous aide à devenir de meilleures personnes. Bien sûr elle y parvient du fait qu’elle nous aide à mieux penser, qu’elle nous enseigne comment aider les autres à faire de même, mais la véritable raison est plus profonde que cela. En effet, participer à des CRP, c’est faire l’expérience d’un véritable dialogue, c’est-à-dire d’un processus qui transforme certes nos aptitudes, mais également nos attitudes. Avec la pratique, on cesse d’écouter pour répondre. On ne cherche plus systématiquement à critiquer et à montrer qu’on en sait plus ou qu’on pense « mieux », comme un professeur tout-connaissant. Avec la pratique, on apprend plutôt à écouter pour comprendre et réagir à l’autre afin de l’aider et de pousser plus loin la réflexion commune.

À ce sujet, j’ai cru pendant longtemps que des trois types de pensée dont parle constamment Matthew Lipman, c’est-à-dire la pensée critique, la pensée créative et la pensée attentive[1], c’était la pensée créative la plus importante. Après tout, la pensée créative produit de la nouveauté ; c’est elle qui imagine la solution à notre problème et donc qui trouve ce qui manque lorsque nous sommes dans une impasse. Comment pouvait-elle ne pas primer ? Après avoir observé lors d’une mémorable CRP dans le cadre du cours PHI-1062 Penser par nous-mêmes ; valeurs et vérité, je ne pense plus de la même manière. En effet, les participant(e)s affirmaient que si l’une des trois pensées prime sur les autres, il ne pouvait être question que de la pensée attentive, c’est-à-dire de la pensée qui se soucie, qui pense avec l’autre en tête. Pourquoi penser cela ? La raison étant que si une CRP ne possède pas un climat de bienveillance, elle ne donne pas le filet nécessaire aux participant(e)s pour prendre leur envol, pour oser partager leurs idées, parfois les plus folles et les plus créatives, à propos du sujet en question ; elle est le sine qua non du dialogue. Je me sens encore privilégié aujourd’hui d’avoir pu assister à cette discussion. En somme, la philosophie pour enfants nous aide à devenir de meilleurs êtres humains parce qu’elle nous enseigne à nous soucier des autres et, par conséquent, à dialoguer avec eux.

Pour ceux qui, à la lecture de ces lignes, douteraient de mon usage de « le meilleur possible », je leur répondrais qu’à cela également, la philosophie pour enfants possède une réponse. L’objectif premier de cette pratique est d’amener les individus à penser par et pour eux-mêmes, c’est-à-dire de les aider à justifier leur propre pensée. Elle apprend aux enfants que le critère central d’un bon jugement, c’est leur propre vie. Est-ce que cette décision est cohérente avec ce que je suis ? Est-elle cohérente avec ce que je veux être ? Est-ce que cela s’applique à moi ? Par conséquent, lorsque j’écris « le meilleur possible » désormais, le critère auquel je faisais référence n’est plus l’absolu, mais mes propres capacités, car si j’aime autant la philosophie pour enfants, en définitive, c’est parce qu’elle me permet de réaliser qui je suis.

Samuel Nepton

[1]Lipman, M. (2003), Thinking in education, New York, Cambridge University Press.

2 réponses

Laisser un commentaire