Cultiver l’éthique du care dans la communauté de recherche philosophique : l’apport de la pensée créative

libéraux

Il me fait grand plaisir de laisser la place à Nadia Beaudry pour le prochain billet. Je tiens à la remercier chaleureusement pour son excellent billet.

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Résumé: L’éthique du care telle que définie par Gilligan peut-elle trouver une voix à l’intérieur de la communauté de recherche philosophique (CRP) pensée par Matthew Lipman et Ann Margaret Sharp? Alors que le dialogue et la pensée attentive structurant la CRP ouvrent la porte au care en tant que mode de réflexion guidé par le souci pour autrui et la préservation des relations d’interdépendance, la pensée créative en parfait l’expression en tant que mode de réflexion ancré dans un contexte. L’éthique du care peut trouver sa voix dans la CRP dès lors que la triade lipmanienne des formes de la pensée est respectée, accordant une importance égale aux pensées créative, critique et attentive.

1. Introduction

La pratique de la philosophie en communauté de recherche ne peut exister sans une dose minimale de bienveillance entre ses membres. La présence de la pensée attentive, ou caring thinking, dans la méthode instaurée par Matthew Lipman et Ann Margaret Sharp, annonce même que la bienveillance en est une composante essentielle. Le caring thinking de la Philosophie pour les enfants n’est cependant pas formé uniquement de bienveillance et celle-ci est encore autre chose que le care, une notion pensée d’abord par Carol Gilligan pour ensuite être reprise dans de multiples domaines (justice, philosophie, éducation et psychologie). D’aucuns semblent pourtant avancer que le care fait déjà partie intégrante de la pratique de la philosophie en communauté de recherche. Sur quoi cette idée est-elle donc fondée?

D’après Lipman, le rôle de la pensée attentive à l’intérieur de la communauté de recherche philosophique (CRP) est de prendre soin de la communauté des idées tout autant que de la communauté des personnes en soulignant ce qui a de l’importance[1]. Au centre de l’éthique du care de Gilligan se trouve plutôt un mode de réflexion ancré dans le contexte tout en étant axé sur la préservation des relations interpersonnelles en jeu dans le contexte concerné. Le pont entre caring thinking et éthique du care est l’attention portée à l’être humain sous l’angle relationnel. La CRP est un espace éminemment dialogique où la voix de chaque personne est entendue, où les liens qui se forment d’une intervention à l’autre constituent les matériaux de base de la recherche philosophique. La préservation des relations interpersonnelles y est omniprésente. Là où les définitions du caring thinking et de l’éthique du care empruntent des chemins différents, c’est d’un côté dans l’importance des valeurs dans la pensée attentive de Lipman et de l’autre dans la primauté du contexte dans l’éthique du care de Gilligan. 

Toujours selon Lipman, réfléchir en étant premièrement guidé par le contexte est le fait non pas de la pensée attentive, mais bien celui de la pensée créative: «It therefore seems to me that creative thinking could best be defined as thinking conducive to judgment, guided by context, self-transcending, and sensitive to criteria» (Lipman, 1991, p.193). Dans la triade lipmanienne des formes de la pensée, les pensées créative, attentive et critique sont également importantes, mais la pensée créative ressort comme étant celle qui, par opposition à la pensée critique qui n’est que sensible au contexte, accorde la priorité au contexte, à l’instar de ce que Gilligan comprend dans le care.

Si l’éthique du care peut bel et bien faire partie de la pratique de la philosophie en communauté de recherche, est-ce à dire qu’elle s’exprime d’une part à travers la qualité de son dialogue — elle-même supportée par la pensée attentive — et d’autre part via la présence de la pensée créative? Faire se rencontrer le care et la pensée créative peut sembler étonnant à première vue, mais une meilleure compréhension du rôle de la pensée créative chez Lipman et de l’éthique du care de Gilligan permet d’entrevoir des rapprochements éclairants. Pour y voir plus clair, nous proposons d’examiner d’abord les trois principales formes de la pensée à l’œuvre dans le programme de Philosophie pour les enfants à la lumière des objectifs du programme. Puis, nous retracerons la notion de care en portant notre attention sur le débat entre Gilligan et Kohlberg, d’où émerge une divergence de définition du concept de moralité qui se révèle structurante pour la notion d’éthique du care. De là, nous serons à même de nous pencher sur les éléments de la pratique de la philosophie en communauté de recherche qui nous permettent de penser que la voix de l’éthique du care peut s’y exprimer. Ensuite, nous approfondirons la manière par laquelle la pensée créative peut contribuer à son tour à l’expression du care en Philosophie pour les enfants en regardant de plus près la réponse d’Amy au dilemme formulé par Kohlberg. Enfin, nous offrirons quelques remarques sur l’importance de reconnaître le rôle fondamental de la pensée créative dans la pratique de la philosophie en communauté de recherche.

2. Les formes de pensée dans la pratique de la philosophie en communauté de recherche

Dans le programme de Philosophie pour les enfants créé par Matthew Lipman, trois principales formes de la pensée sont au cœur des objectifs pédagogiques : la pensée critique, la pensée créative et la pensée attentive. Toutes trois se déploient simultanément à l’intérieur de la recherche philosophique menée en communauté pour conduire, d’après Lipman, au développement d’une pensée multidimensionnelle. À cela s’ajoute la dimension métacognitive de la recherche philosophique lorsque les élèves sont amenés à réfléchir sur leur propre processus de recherche. La pratique de la philosophie en communauté de recherche vise l’apprentissage d’une pensée d’excellence, c’est-à-dire une pensée composée équitablement de pensée critique, de pensée créative et de pensée attentive tout en étant capable de métacognition. Dans cette partie, nous présentons de manière succincte chacune des trois principales formes de la pensée dans le but de mettre en lumière leur fonction à l’intérieur du dialogue philosophique.

2.1 La pensée critique

La pensée critique se définit chez Lipman comme étant la protectrice de la vérité. Préoccupée de départager le vrai du faux, elle dévoile les raisonnements infondés et les erreurs logiques en s’appuyant sur un critère, un principe ou une loi. Penser de manière critique, c’est inclure une démarche rationnelle dans sa réflexion dans le but de se rapprocher de la vérité. En Philosophie pour les enfants, la vérité n’est pas absolue, ce qui implique qu’elle sera éventuellement remise en question, mais elle n’est pas relative non plus, donc tout ne peut pas être considéré comme vrai sans distinction. La recherche de la vérité dans le cadre d’une communauté de recherche philosophique est un processus guidé par des critères tout en demeurant sensible au contexte: il ne s’agit pas d’enchaîner des raisonnements d’ordre logique tout en faisant fi de ce qui relève de la sensibilité, mais bien de fournir à la recherche philosophique une rigueur épistémologique qui est bien utile à sa progression[2].

2.2 La pensée créative

La pensée créative est essentiellement le moteur de la recherche de sens[3] dans la CRP. Elle prend le contexte — ou l’expérience — comme point de départ afin de générer des hypothèses, des interprétations, des solutions, etc. Ce sont les particularités contextuelles de la recherche philosophique menée en communauté qui la guident, c’est pourquoi la pensée créative s’intéresse autant aux exemples offerts par les élèves que par la genèse même du questionnement qui les habite. Le programme de Philosophie pour les enfants puise dans le pragmatisme américain l’idée que toute recherche philosophique est importante à partir du moment où elle a des conséquences sur la réalité. La pensée créative s’intéresse activement à ces conséquences et veille à tracer des ponts entre la réalité et la recherche philosophique. 

2.3 La pensée attentive

La pensée attentive, ou caring thinking, se définit comme une application — au sens d’un soin porté à, d’une attention soutenue — autant envers la communauté des élèves qu’envers l’ensemble des idées proposées par ceux-ci. La question qu’elle pose en termes cognitifs est la suivante : qu’est-ce qui compte vraiment? Qu’est-ce qui a suffisamment d’importance pour mériter de faire l’objet d’une recherche philosophique rigoureuse? En termes socio-affectifs, elle demande à la communauté des élèves de développer les compétences qui rendent possible la dimension dialogique de la recherche philosophique menée en communauté: écoute, bienveillance, entraide, ouverture à l’autre, etc. La pensée attentive implique une posture épistémique en même temps qu’une posture éthique.

La pratique de la philosophie en communauté de recherche permet donc le développement à parts égales de la pensée critique, de la pensée créative et de la pensée attentive. Leur co-présence à l’intérieur du dialogue qui se joue en Philosophie pour les enfants rend possible l’acquisition d’une pensée complexe et multidimensionnelle, c’est-à-dire une pensée ayant à la fois le souci de la vérité, un profond désir de sens et la capacité de prendre soin des personnes et des idées qui font avancer la recherche.

3. L’éthique du care dans la pensée de Carol Gilligan

La notion d’éthique du care a été introduite dans l’univers des sciences sociales et de la psychologie par Carol Gilligan en 1982, lors de la parution de son ouvrage In a Different Voice

Dans cette partie, nous nous proposons de retracer les bases de cette toute première notion d’éthique du care en portant surtout notre attention sur le deuxième chapitre de In a Different Voice, où l’éthique du care fait son apparition en opposition à l’éthique de la justice. Cela nous permettra aussi de cibler sommairement le problème du care face à la théorie des étapes du développement moral de l’enfant de Kohlberg qui est au cœur de la réflexion de Gilligan. 

3.1 Kohlberg vs Gilligan : l’émergence de l’éthique du care

            Le deuxième chapitre de In a Different Voice commence par une illustration efficace de la différence entre l’éthique du care et l’éthique de la justice. Gilligan y rapporte les réponses de deux enfants, Amy et Jake, tous deux âgés de 11 ans, à un dilemme moral formulé par Lawrence Kohlberg. Ce dilemme est formulé comme suit : un homme qui se nomme Heinz n’a pas les moyens d’acheter le médicament nécessaire pour sa femme qui est malade et dont la vie est en jeu. Heinz doit-il ou non voler le médicament au pharmacien et sauver, de ce fait, sa femme? Selon Jake, il est du devoir de Heinz de voler le médicament, d’abord parce que la vie humaine a davantage de valeur que l’argent et ensuite parce que si le pharmacien peut toujours gagner de l’argent plus tard, Heinz lui ne pourra pas retrouver sa femme si elle meurt. Jake affirme que face à la loi, le juge comprendrait probablement que voler le médicament était la bonne chose à faire et qu’il donnerait une sentence minimale, ce qui demeure plus souhaitable que le décès d’une personne. Pour Amy, le problème n’est pas si simple et il doit certainement exister un autre moyen de sauver la femme de Heinz que de voler le médicament au pharmacien. Amy propose d’autres moyens : emprunter de l’argent, faire une entente avec le pharmacien ou trouver une autre manière de financer l’achat du médicament. Pour justifier sa réponse, Amy ajoute que s’il vole le médicament, Heinz risque de se retrouver en prison et de ne plus être capable d’aider sa femme, qui pourrait retomber malade et avoir besoin à nouveau du médicament. Les raisonnements d’Amy et de Jake s’appuient sur des principes fondamentalement différents : alors que Jake considère le dilemme comme un problème formel où il faut choisir entre la vie d’une personne et le respect de la propriété privée, Amy le voit comme un problème dont il faut préciser davantage les éléments contextuels et relationnels pour pouvoir le résoudre.

            Kohlberg et Gilligan interprètent différemment les réponses de Jake et d’Amy sur le plan de leur développement moral. Pour Kohlberg, la réponse de Jake permet d’affirmer que ce dernier a un développement moral conventionnel, car il comprend ce qui est juste à la lumière de certaines conventions sociales et il peut raisonner logiquement, en s’appuyant sur des principes[4]. Or, selon Gilligan, le raisonnement de Jake exprime surtout une conception de la moralité qui correspond à l’éthique traditionnelle de la justice dans laquelle tout jugement moral repose sur un raisonnement formel et une hiérarchisation des droits ou des principes (dans cet exemple, il s’agit du droit à la vie qui l’emporte sur le droit à la propriété). Au contraire, la réponse d’Amy échoue à offrir un raisonnement logique suivi d’une conclusion claire, toujours d’après Kohlberg. Sa volonté de trouver une issue grâce à la communication entre les personnes impliquées dans le problème (dans ce cas Heinz et le pharmacien) plutôt que de prendre la décision qui s’impose est un signe de naïveté. En se mettant ainsi dans une posture de vulnérabilité et de dépendance, Amy démontre pour Kohlberg de l’immaturité sur le plan du développement moral[5].

            Cependant, pour Gilligan, le raisonnement d’Amy est un excellent exemple d’éthique du care. Amy ne résout pas le dilemme formellement en choisissant le droit à la propriété ou le droit à la vie, mais elle cherche à le comprendre et le reformuler à la lumière des relations humaines qui le composent. Pour cela, elle passe par un examen minutieux du contexte, des possibilités de dialogue qu’il contient et des relations interpersonnelles qui s’y jouent, le tout en considérant la préservation des relations interpersonnelles dans le temps. Apprécier le raisonnement d’Amy en fonction des critères de l’éthique de la justice comme le fait Kohlberg par son échelle de développement moral est une erreur selon Gilligan, car Amy comprend le monde qui l’entoure comme un monde de relations humaines d’interdépendance plutôt qu’un monde de lois, de droits ou de principes[6]. Là où Kohlberg voit de la vulnérabilité, Gilligan perçoit de la responsabilité.

Par l’exemple d’Amy et de Jake, Gilligan parvient à mettre en lumière l’existence et la valeur de l’éthique du care. Raisonner moralement ne consiste pas toujours et exclusivement à résoudre un problème sous l’angle des principes qui le structurent; tout un pan de ce que signifie réfléchir à des questions morales inclut la recherche de solutions ancrées dans des contextes singuliers qui impliquent des êtres humains en relation d’interdépendance les uns avec les autres. Avec l’éthique du care, Gilligan nous apprend que cette autre vision de la moralité est en grande partie portée par les femmes et que son idéal moral est de cultiver la bienveillance à travers les relations humaines[7]. En effet, la logique qui sous-tend l’éthique du care est une logique des relations: «the logic underlying an ethic of care is a psychological logic of relationships, which contrasts with the formal logic of fairness that informs the justice approach» (Gilligan, 1982, p.73). C’est donc du contraste avec une conception rationnelle de la moralité, propre à l’éthique de la justice, qu’apparaît l’éthique du care et avec elle la formulation d’une conception de la moralité dans laquelle priment les relations interpersonnelles considérées dans leur contexte.

4. L’éthique du care dans la pratique de la philosophie en communauté de recherche

Il est délicat de transposer une notion provenant d’un cadre méthodologique différent dans le programme de Philosophie pour les enfants. S’il est possible d’établir un parallèle entre l’éthique du care et les formes de la pensée à l’œuvre dans la CRP, il n’est cependant ni possible ni souhaitable d’assimiler le care aux notions de dialogue, de bienveillance, de pensée attentive ou de pensée créative. Notre brève étude de l’éthique du care telle que pensée par Gilligan dans son ouvrage de In a Different Voice révèle que cette notion émerge du débat entre Kohlberg et Gilligan autour des étapes du développement moral de l’enfant, qu’elle remet en question une conception rationnelle de la moralité jusque-là incontestée et qu’elle met de l’avant une voix et un idéal moral typiquement féminins. Aucune des notions mentionnées ci-dessus appartenant au cadre de la Philosophie pour les enfants ne contient une telle signification.

Les rapprochements entre l’éthique du care et notamment la pensée créative que nous proposons dans cette section ne visent donc pas à avancer que le care comme conçu par Gilligan équivaut à la pensée créative de Lipman. Pour cela, il faudrait pour le moins que la pensée créative s’exerce essentiellement autour de sujets moraux, ce qui n’est pas le cas, puisque la pratique de la philosophie en communauté de recherche touche à toutes les dimensions de la philosophie: éthique, politique, logique, esthétique, épistémologie, etc. Notre objectif est plutôt d’illustrer comment la pensée créative peut servir d’ancrage à l’expression de la voix du care à l’intérieur de la CRP; de quelle manière peut-elle être un moyen pour servir l’idéal de l’éthique du care. Afin d’y parvenir, nous rappellerons brièvement de quelle manière la pratique de la philosophie en communauté de recherche dans sa globalité peut permettre l’expression du care en tant que souci pour autrui. Puis, nous approfondirons la réponse d’Amy au dilemme de Kohlberg sous l’angle de la pensée créative. Pour terminer, nous offrirons quelques remarques sur la difficulté pour la pensée créative d’être reconnue au sein même du programme de Philosophie pour les enfants, un sujet dont nous avons traité dans le cadre d’un mémoire intitulé Le défi de la pensée créative en Philosophie pour les enfants (Beaudry, 2018). 

4.1 Le care, le dialogue et la pensée attentive

D’après Ann Margaret Sharp, la CRP se définit comme étant un espace accueillant, «a safe place characterized by enjoyment, respect for persons, appreciation of diversity of viewpoints, attentive listening to one another, a place in which […] every participant feels empowered to contribute to the work of the community» (Sharp, 1996, p.46). La recherche philosophique menée en communauté permet l’accueil des différents points de vue en tout respect, invitant à chacun se sentir suffisamment en confiance pour s’exprimer, contribuant ainsi à une réflexion collective. Dans sa structure, soit la lecture à tour de rôle d’une histoire philosophique, la cueillette de questions formulées par les participants, le choix démocratique d’une question par vote, la recherche philosophique et le bilan, la CRP renforce l’adoption d’une posture d’ouverture, d’engagement, de respect mutuel et de souci pour autrui. Chaque étape exige de l’écoute et de la patience. Aussi, les membres de la communauté sont invités à s’entraider, à coconstruire leurs idées et à se permettre de douter. Personne n’a besoin d’offrir la bonne réponse pour être accepté ou reconnu. Chacun est encouragé à se déposer de plus en plus confortablement dans l’interdépendance qui donne son impulsion au dialogue. 

La forme de la pensée qui contribue le plus directement au maintien de cet environnement inclusif et respectueux est la pensée attentive. Guidée notamment par le souci des personnes qui participent à la CRP, elle cherche à identifier ce qui importe à leurs yeux, tant sur le plan socio-affectif que cognitif. La pensée attentive est la grande complice du dialogue dans la CRP.

Si l’éthique du care devait effectivement trouver une voix à l’intérieur de la pratique de la philosophie en communauté de recherche, il serait difficile d’imaginer meilleure porte d’entrée que celle du dialogue qui s’y déploie et de la pensée attentive traversant celui-ci. Bien que nous ne disposons pas d’un espace suffisant pour approfondir cette question ici, il nous semblait essentiel d’en faire mention afin de bien comprendre le contexte dans lequel la pensée créative intervient. Nous ne pourrions penser un apport de la pensée créative à l’expression du care dans la CRP sans au préalable montrer de quelle façon l’éthique du care dans sa plus simple expression est rendue possible en Philosophie pour les enfants. La présence attentive des participants et leur dialogue font de la communauté de recherche philosophique un espace de bienveillance qui est globalement propice à l’expression de la posture de l’éthique du care.

4.2 Le care et la pensée créative

Le dialogue qui caractérise la pratique de la philosophie en communauté de recherche ainsi que la pensée attentive ouvrent la voie pour le care en tant que manière de réfléchir en étant guidé par le souci pour autrui. Mais qu’en est-il de l’éthique du care en tant que mode de réflexion ancré dans un contexte? D’après la définition des formes de la pensée chez Lipman, un tel mode de réflexion se retrouve dans la pensée créative[8]. Cette dernière se distingue de la pensée critique par sa faculté d’être guidée par le contexte d’abord, et sensible aux critères ensuite. Pour Lipman, la pensée créative est autotranscendante, ce qui signifie qu’elle est continuellement prête à se dépasser, et elle conduit vers la formulation d’un jugement. 

Sans avancer que chaque exemple de pensée créative soit représentatif de l’éthique du care et inversement, que chaque expression de l’éthique du care soit un exemple de pensée créative, la réponse d’Amy au dilemme de Kohlberg constitue un bel exemple de pensée créative. Déjà, il est évident que ce qui guide Amy dans son raisonnement en tout premier lieu est le contexte. Le problème avec le dilemme de Kohlberg est qu’il ne contient que très peu d’éléments contextuels. En fait, tout le dilemme est construit de manière à inviter l’enfant à ne pas réfléchir au contexte, mais bien aux principes qui sont en jeu. Autrement dit, le dilemme de Kohlberg n’est pas une invitation à réfléchir de manière créative au sens lipmanien du terme. Malgré cela, c’est ce qu’Amy fait dans les réponses qu’elle offre et c’est la raison pour laquelle elle ne donne pas de conclusion claire, au sens où Kohlberg l’entend, en choisissant ou bien de voler le médicament, ou bien de ne pas le voler. Pour cela, il aurait fallu qu’elle puisse s’appuyer sur par exemple la possibilité pour le pharmacien de négocier avec Heinz, ou encore sur la capacité de Heinz d’emprunter de l’argent à la banque, etc. Puisque de tels éléments contextuels n’étaient pas donnés, Amy ne pouvait pas, suivant sa manière de réfléchir, aboutir à une réponse satisfaisante. Dans une réflexion prioritairement guidée par le contexte, le processus consiste à tenir compte de toutes les données du problème, même celles qui ne concernent pas le problème tel qu’il est présenté.

De plus, il serait faux d’avancer qu’Amy est insensible aux critères[9] — dans ce cas-ci, aux droits qui sont en jeu dans le dilemme de Kohlberg — puisque c’est en cherchant à les respecter tous les deux, en cherchant à éviter le vol du médicament autant que la mort de la femme de Heinz, qu’elle en arrive à formuler différentes réponses possibles. Comme Lipman l’écrit dans Thinking in Education, la pensée créative est guidée par le contexte et sensible aux critères. La pensée créative n’est donc pas irrationnelle; elle est un mode de réflexion ancré dans l’expérience et qui tient compte des critères. Cela peut également amener de nouveaux critères, par exemple le fait qu’Amy veuille assurer la survie de la femme de Heinz à long terme, un critère qui ne faisait pas partie du problème à résoudre, mais qui est apparue dans la considération du contexte dans son ensemble. De fait, la pensée créative tient compte des critères existants et elle peut en identifier de nouveaux suite à l’examen minutieux du contexte.

Le caractère autotranscendant de la pensée créative s’exprime dans le raisonnement d’Amy via la suite des réponses qu’elle fournit, chaque réponse permettant d’aller un peu plus loin que la précédente. Amy mentionne que si Heinz volait le médicament, il sauverait sa femme une première fois, mais il risquerait aussi de se retrouver en prison, ce qui le rendrait inapte à sauver sa femme à nouveau au besoin. Poursuivant dans l’anticipation des conséquences du vol du médicament, elle ajoute que si Heinz volait le médicament, il ne saurait pas nécessairement comment l’administrer à sa femme, et donc sa femme pourrait tout de même mourir. Le pharmacien pourrait être la clé du problème, avance également Amy, car s’il voyait les conséquences de son refus d’aider Heinz à trouver une manière de procurer le médicament à sa femme, il accepterait de fournir le médicament à la femme de Heinz et d’être payé plus tard. Puis, elle ajoute que s’il y avait davantage de partage dans le monde, alors il y aurait moins de vol. Amy réfléchit en montrant des possibilités, en énonçant des affirmations sous-tendues par des questionnements : pourquoi le pharmacien refuserait-il de trouver un arrangement? Pourquoi Heinz n’aurait-il aucune autre option que le vol? Et si Heinz allait discuter avec le pharmacien, pourrait-il trouver une meilleure solution? Cette façon de penser en cultivant les questions davantage que les réponses est, pour Lipman, le signe d’une pensée qui est prête à se dépasser elle-même. L’aspect autotranscendantal de la pensée créative est en relation avec la recherche de sens dont la pensée créative est le moteur au sein de la communauté de recherche philosophique. Tout comme Amy, un enfant qui cherchera à trouver le sens d’un problème, d’un point de vue ou d’une question aura bien des questions en tête. Chaque élément de réponse lui permettra de découvrir toujours un peu plus le sens des choses sans toutefois mettre un terme à sa recherche.

En étant autotranscendante, la pensée créative conduit vers un type de jugement qui diffère de ceux issus par exemple de la pensée critique. Là où la pensée critique, intéressée par la distinction entre le vrai et le faux, tend à produire un jugement permettant de trancher, mettant fin à la recherche, la pensée créative de son côté est davantage intéressée par l’ouverture de nouvelles pistes de réflexion. Pour Lipman, un jugement créatif n’est pas une réponse finale ou une solution définitive au problème, mais une manière d’élargir la recherche, peut-être en sortant du problème pour le considérer sous de nouveaux angles. C’est précisément la démarche d’Amy, dont chacune des réponses invite à un questionnement sur le problème lui-même, en le regardant autrement, à en comprendre le sens plus largement et en lui découvrant de nouvelles pistes de recherche.

L’un des rôles de la pensée créative dans la pratique de la philosophie en communauté de recherche est de permettre la poursuite de la recherche à travers le dialogue. S’il n’y avait que des jugements critiques, donc des réponses abouties, la recherche serait courte et le dialogue bien moins riche. Un penseur créatif qui s’interroge sur le sens des choses, qui revient sur tel ou tel élément de contexte et qui cherche à considérer le problème initial sous une multitude d’angles augmente la complexité de la recherche philosophique. Un exercice de logique formelle tel que celui proposé par Kohlberg ne nécessite pratiquement aucun dialogue. Certes, l’enfant y construit son raisonnement et apprend à le communiquer, mais il n’est pas placé dans une situation de recherche philosophique dont le niveau de complexité engendre le dépassement des limites de la réflexion individuelle et rend le dialogue non seulement indispensable, mais intéressant.

Par cette relecture de la réponse d’Amy à la lumière de la définition lipmanienne de la pensée créative, nous avons tracé un pont entre l’éthique du care de Gilligan et la pensée créative qui fait partie de la pratique de la philosophie en communauté de recherche. Ce pont est l’attention accordée au contexte, qui entraîne avec elle une capacité de tenir compte d’une quantité virtuellement illimitée de données, de multiplier les angles sous lesquels un problème est considéré et d’ouvrir une multitude de pistes de recherche, de questions et d’hypothèses.

4.3 La reconnaissance de la pensée créative

            La posture de l’éthique du care trouve en la pratique de la philosophie en communauté de recherche au moins deux ancrages: d’abord le dialogue et la pensée attentive, ensuite la pensée créative. Mais cette pratique ne vise pas que le développement chez l’enfant de la capacité au dialogue et d’une réflexion créative et attentive. D’autres objectifs l’habitent, à commencer par le développement de la pensée critique. D’ailleurs, l’intérêt envers la pensée critique dans la Philosophie pour les enfants dépasse largement celui envers les autres formes de la pensée, ne serait-ce qu’en termes du nombre d’articles académiques et de chapitres de livre qui lui sont consacrés. En revanche, la pensée créative est pratiquement absente de la revue Thinking : The Journal of Philosophy for Children, du recueil Growing Up With Philosophy et de l’ouvrage Thinking Children and Education, pour ne nommer que ceux-là. Est-ce à dire que malgré ce qu’ont pu dire Sharp et Lipman au sujet de la pensée multidimensionnelle, la pensée critique a davantage d’importance aux yeux de la communauté des théoriciens et des praticiens que notamment la pensée créative? Sur ce point, Sharp écrit que «we have to be on our guard that the movement does not deteriorate into one more course in logic or critical thinking for children to master» (Sharp, 1992, p.48). Son avertissement donne à penser que nous ne pouvons pas tenir pour acquises ni la pensée attentive ni la pensée créative si la Philosophie pour les enfants est instaurée dans le seul but d’apprendre aux enfants à penser de manière critique. Lipman considère lui aussi qu’il existe un véritable risque à ce que la pensée critique éclipse les deux autres formes de la pensée: «In teaching multidimensional thinking, one must be on one’s guard not to give the impression to students that critical thinking is equal to the whole of thinking» (Lipman, 2003, p.201). La pensée multidimensionnelle doit être composée à parts égales des pensées critique, créative et attentive même si en pratique, cela ne va pas nécessairement de soi.

Si nous devons compter sur la présence de la pensée attentive et de la pensée créative pour donner une voix à l’éthique du care dans la CRP, alors il est nécessaire de réfléchir aux moyens de valoriser dans son entièreté la triade des formes de la pensée introduite par Lipman. Nous avons traité ailleurs de cette question (Beaudry, 2018) et souhaitons seulement souligner l’importance que peut avoir un éveil de la sensibilité, au sens où ce qui relève du sentiment, des sensations et plus généralement du monde sensible, est rendu bien vivant dans le cadre de la pratique de la philosophie en communauté de recherche. En choisissant l’expérience comme point de départ à la réflexion comme l’ont fait Lipman et Sharp, il est possible de cultiver les liens entre l’expérience — et toute la sensibilité à laquelle elle invite, voire oblige, tout un chacun — et le processus de recherche philosophique menée en communauté par et pour les enfants. Loin d’être un exercice de logique, la pensée devient une façon pour les enfants de comprendre et d’intégrer leur vécu: «thinking is some kind of processing of experience» (Lipman, 2003, p.211). En somme, s’il est nécessaire de favoriser le développement de la pensée critique en invitant les enfants à passer de leurs expériences aux principes et aux critères qui structurent celles-ci, il est également important d’inviter les enfants à passer des principes et des critères aux expériences elles-mêmes, aux nombreuses données qu’elles procurent et aux multiples possibilités auxquelles elles ouvrent la recherche philosophique.

5. Conclusion

La pratique de la philosophie en communauté de recherche est un espace apte à porter et valoriser l’éthique du care à partir du moment où notre regard se pose sur le rôle fondamental qu’y jouent le dialogue, la pensée attentive et la pensée créative. En combinant le souci envers ce que l’autre ressent, pense et exprime avec l’entraide, la coconstruction des connaissances et la valorisation d’une pensée guidée par le contexte, sensible aux critères, constamment prête à se dépasser elle-même et menant à une forme de jugement permettant la poursuite de la recherche, les ingrédients sont effectivement réunis pour que s’exprime dans la CRP la voix du care selon la définition de Gilligan.

Cette voix du care, dans la plupart des cas féminine, souligne Gilligan, peine trop souvent à être entendue et comprise. Reléguée au rang d’une moralité inférieure, d’une incapacité à faire preuve d’indépendance ou d’autonomie, elle prive les communautés d’une approche riche, parce qu’ancrée dans la réalité sensible, et bénéfique, parce qu’elle prend soin de l’être humain en tant que l’animal politique qu’il est, c’est-à-dire toujours en relation avec d’autres. L’éthique du care n’offre pas des réponses absolues et elle ne cherche pas à faire preuve d’une logique infaillible; c’est ce qui lui est reproché, d’ailleurs. Il est fascinant de constater à quel point elle partage cette caractéristique avec l’approche de la Philosophie pour les enfants de Matthew Lipman, habitée par le pragmatisme américain et le faillibilisme épistémologique.

Il est également impossible de ne pas remarquer de similitude entre l’intérêt prédominant envers le développement de la pensée critique dans la CRP et la conception, largement partagée par plusieurs théoriciens au moment où Gilligan publie In a Different Voice, que la (vraie) moralité est affaire de principes et de raisonnements formels. S’agit-il du même éternel débat entre la rationalité et la sensibilité? Y a-t-il là un défaut de notre civilisation à placer la plupart du temps les principes au-dessus des contextes, des situations réelles, de l’expérience? 

À l’heure où la pratique de la philosophie en communauté de recherche se démocratise, il serait judicieux de répondre à ces questions afin d’éviter que cette pratique ne devienne, comme Lipman et Sharp le craignaient, un autre cours de logique dans les écoles. Qu’est-ce donc qui distingue la Philosophie pour les enfants telle que conçue par Lipman d’un simple programme pour enseigner aux enfants à penser rationnellement? Lorsque Lipman écrit que «An education that nurtures uninventive thinking is no better than one that nourishes uncritical thinking» (Lipman, 2003, p.229), que veut-il dire? Favoriser chez l’enfant une pensée qui ne montrerait aucune créativité ou inventivité, même si cela se fait au profit de l’acquisition de la pensée critique (bien que la pensée critique pour Lipman soit beaucoup plus que de la pensée rationnelle), n’est pas plus acceptable que d’empêcher le développement de la pensée critique de l’enfant. C’est dire à quel point il est important que la triade des formes de la pensée, et encore plus spécifiquement les pensées critique et créative, soit équitablement constituée pour que la pratique de la philosophie en communauté de recherche atteigne son objectif, qui est de permettre aux enfants de développer une pensée d’excellence, une pensée multidimensionnelle, une capacité de penser par et pour eux-mêmes, avec les autres.

Pour favoriser le déploiement de la pensée créative et avec elle l’éthique du care en tant que mode de réflexion ancré dans le contexte, nous pouvons tourner notre regard vers le vaste domaine de la sensibilité et nous demander: de quelle façon le praticien en Philosophie pour les enfants peut-il faire briller la dimension sensible de la recherche philosophique? Comment peut-il susciter la sensibilité des enfants afin de les faire passer plus facilement de la réflexion à l’expérience, et vice-versa? L’une des réponses apportées par Lipman à ce sujet est la littérature philosophique utilisée dans le cadre de la pratique de la philosophie en communauté de recherche. D’après lui, cette littérature permet le partage de différentes expériences: «Stories communicate experience and directly convey the drama of life» (Lipman, 1993, p.168). Loin d’être anodines, les histoires utilisées en Philosophie pour les enfants ont un rôle d’intermédiaire à jouer entre vécu et réflexion. Aussi difficile que cela puisse être de rédiger ou même de sélectionner de bonnes histoires philosophiques pour les enfants, celles-ci sont potentiellement parmi les meilleurs leviers pour ancrer la recherche philosophique dans l’expérience et faire ressortir toute leur créativité.

Références bibliographiques

Beaudry, N. (2018) Le défi de la pensée créative en Philosophie pour les enfants. Mémoire de maîtrise. Université Laval, Québec, Québec.

Gilligan, C. (1982) In A Different Voice : Psychological Theory And Women’s Development. Cambridge: Harvard University Press.

Lipman, M. (dir.) (1993) Thinking Children and Education. Dubuque: Kendall / Hunt Publishing Company.

Lipman, M. (1991) Thinking in Education. New York: Cambridge University Press, 1re édition.

Lipman, M. (2003) Thinking in Education. New York: Cambridge University Press, 2e édition.

Sharp, A. M. (1992) Women, Children, and Philosophy. Dans Sharp, A. M. et Reed, R. F., Studies in Philosophy for Children: Harry Stottlemeier’s Discovery (p.42-52). Philadelphie: Temple University Press.

Sharp, A. M. (1996) The Educative Value of Childhood Friendships. Dans Sharp, A. M. et Reed, R. F., Studies in Philosophy for Children: Pixie (p.39-51). Madrid : Ediciones de la Torre.


[1] Pour Lipman, dans le contexte de la pratique de la philosophie en communauté de recherche, le caring thinking se définit comme l’attention portée à ce qui a de la valeur: «to care is to focus on that which we respect, to appreciate its worth, to value its value» (Lipman, 2003, p.262). Il décrit aussi une communauté de recherche philosophique qui fait preuve de caring en ces mots: «a community of caring inquiry, one that cultivates the appreciation of values, is likely to study how such cultivation can best be accomplished and how to live so that the values of what is worthwile will be disclosed for all to perceive» (Lipman, 2003, p.198).

[2] D’après Lipman, la pensée critique propulse la recherche de la vérité dans la CRP en étant guidée par des critères, sensible au contexte, autocorrectrice et conduisant à la production d’un jugement (Lipman, 2003, p.212).

[3] La recherche de sens est une composante fondamentale de la pratique de la philosophie en communauté de recherche: «Communities of inquiry are therefore meaning seeking in somewhat the way that intensive care units in hospitals are life preserving» (Lipman, 2003, p.96).

[4] «While this boy’s judgments at eleven are scored as conventional on Kohlberg’s scale […]  his ability to bring deductive logic to bear on the solution of moral dilemmas, to differentiate morality from law, and to see how laws can be considered to have mistakes points toward the principled conception of justice that Kohlberg equates with moral maturity» (Gilligan, 1982, p.27).

[5] Gilligan résume l’appréciation de la réponse d’Amy par Kohlberg en ces termes: «Amy’s response to the dilemma conveys a very different impression, an image of development stunted by a failure of logic, an inability to think for herself […] When considered in the light of Kohlberg’s definition of the stages and sequence of moral development, her moral judgments appear to be a full stage lower in maturity than those of the boy. […] As her reliance on relationships seems to reveal a continuing dependence and vulnerability, so her belief in communication as the mode through which to resolve dilemmas appears naive and cognitively immature» (Gilligan, 1982, p.27-30). 

[6] «Yet the world she knows is a different world from that refracted by Kohlberg’s construction of Heinz’s dilemma. Her world is a world of relationships and psychological truths where an awareness of the connection between people gives rise to a recognition of responsability for one another, a perception of the need for response. Seen in this light, her understanding of morality as arising from the recognition of relationship, her belief in communication as the mode of conflict resolution, and her conviction that the solution to the dilemma will follow from its compelling representation seem far from naive or cognitively immature» (Gilligan, 1982, p.30).

[7] La voix différente est le plus souvent une voix féminine: «The proclivity of women to reconstruct hypothetical dilemmas in terms of real, to request or to supply missing information about the nature of the people and the places where they live, shifts their judgment away from the hierarchical ordering of principles and the formal procedures of decision making» (Gilligan, 1982, p.100-101). Son idéal est d’être «an activity of relationship, of seeing and responding to need, taking care of the world by sustaining the web of connection so that no one is left alone» (Gilligan, 1982, p.62).

[8] La définition de la pensée attentive formulée par Lipman ne contient pas cet aspect, même si dans bien des cas, nous pouvons supposer que la pensée est attentive à une situation particulière, une personne ou un point de vue. C’est à la pensée créative que Lipman attribue la capacité d’être guidée par le contexte: «It therefore seems to me that creative thinking could best be defined as thinking conducive to judgment, guided by context, self-transcending, and sensitive to criteria» (Lipman, 1991, p.193).

[9] Nous utilisons ici le mot critère au sens où Lipman l’entend, c’est-à-dire au sens large, pouvant désigner des standards, des lois, des règles, des préceptes, des conventions, des principes, des idéaux, etc. (Lipman, 1991, p.117).

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Nadia Beaudry

Nadia s’est initiée à la Philosophie pour les enfants en 2009, alors qu’elle hésitait à poursuivre ses études en philosophie. Cette découverte raviva son amour pour la philosophie à tel point qu’elle a complété un certificat en Philosophie pour les enfants, un baccalauréat et une maîtrise en philosophie. Aujourd’hui, Nadia est animatrice, formatrice et conseillère en Philosophie pour les enfants. Elle s’est donnée comme mission de rendre accessible et attrayante la recherche philosophique en communauté dans les milieux éducatif, culturel et artistique. 

PÉDAGOGIE DIALOGIQUE EN CLASSE COLLÉGIALE

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Il me fait plaisir de laisser la place à Pier-Luc Jolicoeur qui vient de présenter son projet de fin d’études à la Faculté des études supérieures et postodotrales de l’université Laval dans le cadre du programme de maitrise sur mesure en enseignement collégial pour l’obtention du grade de Maître ès arts.

Ce projet porte sur la place du dialogue dans l’enseignement au collégial. Ce qui n’est évidemment pas étranger avec qui se passe en philosophie pour enfants et adolescents, car dans ce domaine, le dialogue est central!

Pour Pier-Luc, «dialoguer s’avère un exercice indispensable pour répondre au défi central de l’éducation qu’est le vivre-ensemble. De même, c’est un puissant outil pédagogique qui mérite une place particulière dans l’enseignement collégial.»

Vous pouvez télécharger son projet en cliquant ici: Projet

Covid-19 et Philosophie pour enfants -4

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Quatrième temps de la réflexion touchant la Covid-19 et la philosophie pour enfants qui, conduira à la rédaction d’une histoire philosophique pour les enfants afin qu’ils puissent faire de la philosophie au sens plein du terme au sujet de la pandémie qui nous touche. Si ce schéma peut en inspirer certain.e.s, tant mieux!

Plusieurs sources dont la Commission de l’éthique en science et en technologie

Covid-19 et Philosophie pour enfants -3

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Trosième temps de la réflexion touchant la Covid-19 et la philosophie pour enfants qui, associées à d’autres qui s’en viennent, conduiront à la rédaction d’une histoire philosophique pour les enfants afin qu’ils puissent faire de la philosophie au sens plein du terme au sujet de la pandémie qui nous touche. Si ce schéma peut en inspirer certain.e.s, tant mieux!

Plusieurs sources dont la Commission de l’éthique en science et en technologie

Covid-19 et Philosophie pour enfants -2

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Secondes réflexions touchant la Covid-19 et la philosophie pour enfants qui, associées à d’autres qui s’en viennent, conduiront à la rédaction d’une histoire philosophique pour les enfants afin qu’ils puissent faire de la philosophie au sens plein du terme au sujet de la pandémie qui nous touche. Si ce schéma peut en inspirer certain.e.s, tant mieux!

Plusieurs sources dont la Commission de l’éthique en science et en technologie

Un rapide coup d’oeil sur le contrat didactique en philosophie pour enfants

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Ce qui caractérise ceux et celles qui participent à une communauté de recherche philosophique en philosophie pour enfants, ce n’est pas un savoir fixe, indépassable, qu’ils posséderaient de tout temps, mais plutôt un refus d’ignorer, qui les porte à une quête continue au-delà du savoir provisoirement acquis. Nourris d’une curiosité sans borne, ils retirent, d’une part, pour autant qu’elle vienne à eux, une connaissance de l’univers, et d’autre part, ne voulant pas, ne pouvant pas s’arrêter, ils retirent de l’expérience même de connaître une puissance de connaître.  L’institution de cette puissance présuppose une réorganisation de la classe de même qu’une réorganisation de la relation au savoir dans l’apprentissage.

En effet, ce contrat didactique suppose que l’acquisition du savoir n’est pas le seul fait de la relation univoque enseignant.e-élève, mais plutôt le centre d’un processus impliquant un réseau de communications diversifiées, une activité au cours de laquelle chacun.e, dans et par ses relations aux autres, devient agent de la construction de ses connaissances et de sa puissance de connaître.  La liberté de pensée s’en trouve, par là, accrue dans la mesure où elle sous-tend une puissance acquise de faire quelque chose.  D’autant plus que ce contrat didactique admet, ce qui est rare à l’école, la possibilité, voire le droit, de chercher sans être obligé de fournir une réponse qui serait inéluctablement approuvée ou réfutée par l’enseignant.e.

Vers une citoyenneté engagée par la pratique de la philosophie avec les enfants et les adolescent.e.s

Vers une citoyenneté engagée par la pratique du dialogue philosophique

MÉMOIRE PRÉSENTÉ AU MINISTÈRE DE L’ÉDUCATION DU QUÉBEC

En vue du remplacement du programme d’Éthique et culture religieuse

Mylène Bouchard, Jean Dansereau, Natalie M. Fletcher, Mathieu Gagnon, Olivier Michaud, Michel Sasseville, Sébastien Yergeau

27 février 2020 Lire la suite

La Philosophie pour enfants: une façon d’entrevoir la pensée critique

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Pour ce 300e billet sur ce blogue, quoi de mieux qu’un article écrit par Tony Johnson en 1984 et traduit en français en 1986. Mais, à ma connaissance, cet article n’a jamais été publié dans cette langue. Et pourtant, il est si riche. Alors, je ne peux m’empêcher de le publier sur ce blogue en pensant qu’il pourra vraisemblablement servir à plusieurs personnes qui s’intéressent à la philosophie pour enfants, son histoire, son matériel (Tony fait référence à plusieurs reprises dans son article à une histoire pour enfants très importante en philosophie pour enfants : La découverte d’Harry Stotélès), ses fondements, l’importance du dialogue et la place de la communauté de recherche dans cette perspective éducative.

J’ai rencontré Tony lors de ma première formation au Montclair State University (à l’époque Montclair State College), plus précisément à Mendham au New Jersey, en 1985.  Encore aujourd’hui, l’Institut pour l’avancement de la philosophie pour enfants (IAPC) offre des formations à cet endroit.  Tony était alors mon «coach», une personne qui n’est surtout pas là pour vous dire quoi faire, mais pour vous montrer comment on peut le faire.  J’ai beaucoup appris avec Tony!  Il m’a même montré comment devenir un coach!  Je ne sais pas ce que Tony est devenu.  Il a tout mon respect!!! Lire la suite

Extraits et analyse d’un dialogue produit en communauté de recherche philosophique

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Des élèves de 5e année d’une école au Québec viennent de terminer la lecture d’un épisode du roman Pixie  écrit par Matthew Lipman.  Cet épisode relate une situation vécue par une enfant qui a sensiblement l’âge des élèves.  Les principaux échanges qui suivirent la lecture sont transcrits ci-après.  Seuls les noms des élèves ont été changés.  Lire la suite

Le processus d’intériorisation en communauté de recherche philosophique

L’expérience de la création d’une communauté de recherche philosophique (CRP) a une durée.  L’expérience que les enfants font lors de la création d’une CRP occupe un espace de temps plus ou moins long selon la distance plus ou moins grande s’inscrivant entre le commencement et la fin de cette expérience.   Celle-ci pourrait être symbolisée par une ordonnée coupée en deux endroits, ces coupes symbolisant son commencement et sa fin.  En figure:

 


Figure 1 (inspirée du linguiste Gustave Guillaume)

L’expérience qui se déroule entre C et F, dont CF est l’ordonnée, ne s’abstrait pas de la durée.  Mais au fur et à mesure que l’expérience avance dans le temps, au fur et à mesure que la connaissance expérimentale qu’elle suscite s’intériorise, c’est-à-dire se soustrait à la durée.  On peut ainsi la revoir tout d’un coup, en en faisant tenir la somme dans le cadre d’un instant de l’esprit. À ce moment survient une connaissance qu’on pourrait qualifier, disait le linguiste Gustave Guillaume (parlant alors du langage) de trans-expérimentale qui est intériorisation, représentation et qui, quittant l’ordonnée CF, se développe dans l’instant sur un axe de recoupement XX’ mené par F.  À nouveau en figure:

  Figure 2 (inspirée du linguiste Gustave Guillaume)

Vue ainsi, l’intériorisation est une activité qui consiste à éliminer de l’expérience le facteur durée et à tout voir, à tout revoir dans un temps dont la durée, cette fois-ci, se réduit à un instant de l’activité mentale.  De l’une à l’autre, on passe du temps dans lequel les enfants font l’expérience de la pratique philosophique – le temps au titre de contenant – au temps qui se développe en eux et qui, considéré cette fois au titre de contenu, permettra d’expliquer les rapports intrapersonnels, fruit de l’intériorisation des rapports interpersonnels vécus dans le dialogue.  Ce qui pourrait être figuré, cette fois, de la façon suivante:

 


Figure 3 (inspirée du linguiste Gustave Guillaume)

La condition d’une extériorisation valable de la pensée en CRP suppose l’intériorisation de celle-ci, c’est-à-dire l’assimilation et la systématisation de moyens de recherche utilisables en vue de fins plus ou moins complexes.  L’intériorisation n’est donc pas uniquement le reflet de ce qui se passe entre les participants. Prenant son départ, pour se construire, à ces rapports interpersonnels, elle est en plus le résultat d’une systématisation qui ne se trouve pas toujours et entièrement présente dans le dialogue entre les enfants. 

D’où vient alors cette systématisation?  Elle vient du rapport plus englobant être humain-univers au sein duquel se trouve le petit «face-à-face» être humain-être humain.  Si le dialogue fournit l’occasion, par la répétition qu’il engendre, de former en soi des habitudes, celles-ci ne deviendront vraiment intériorisées qu’au moment où, s’inscrivant dans un réseau de relations fondées ultimement sur le lien inévitable qui existe entre l’être humain et l’univers (qui est le lieu de l’être humain), elles se systématiseront, s’orchestreront aurait dit M. Lipman, et deviendront alors condition de puissance des actes qu’elles permettent de réaliser.  Intérioriser pour extérioriser, virtualiser pour actualiser, représenter pour exprimer, c’est là le processus peut-être le plus fondamental de l’apprentissage que réalisent les enfants au moment de participer à la création d’une CRP.