Un exemple d’une enquête philosophique avec des enfants et des parents

Extrait d’une séance de philosophie.

Jeudi 27 novembre 2014

Parents/élèves de l’École La Découverte (Genève, Suisse) – 6 à 57 ans.

Les noms des enfants et des parents ont été remplacés par Enfant A-B-C… et Parent A-B-C… Je suis (MS) l’animateur de cette séance. Les enfants ont entre six et douze ans.  D’entrée de jeu, je tiens à préciser que la fréquence de mes interventions est nettement trop élevée. Mais cela arrive lorsqu’on croise un groupe d’enfants et de parents pour la première fois.

Cette recherche, unique, traite de l’amitié. Thématique choisie par les enfants reposant sur la question initiale de l’un d’eux: Quelle différence y a-t-il entre un ami et un copain?, elle a suscité beaucoup d’intérêt. Comme on pourra le découvrir, cette enquête commune parents-enfants ouvre la porte à la diversité de points de vue, l’imagination, le souci de la rigueur, le questionnement, la remise en question, l’auto-critique, le rire, et j’en passe… Il n’en fallait pas plus pour en perdre un peu la conscience du temps. Et, comme c’est souvent le cas, le moment de clôturer la séance est venu trop tôt. Nous aurions pu continuer; l’envie était présente.

Je tiens à remercier Catherine Firmenich, directrice de l’École La Découverte,  pour le soin qu’elle a pris à retranscrire cette rencontre.  Philosophiquement, les mouvements sont nombreux.  Une analyse détaillée nous offrirait la possibilité de mieux les voir.  C’est ce que permet, notamment, le cours en ligne à l’Université Laval.

Travaillant sur les ressemblances et différences, distinguant, définissant, explorant les conséquences, dégageant des présupposés, etc., ce moment philosophique aura permis aux parents (c’est du moins ce que certains ont exprimé par la suite) de voir jusqu’à quel point les enfants peuvent être attentifs et précis lorsqu’il s’agit d’explorer une expérience qui leur est chère.  Au terme de la séance, certains parents ont affirmé:  «nous n’avions jamais imaginé que les enfants puissent être aussi intelligents.»  Je trouve que c’est un pas dans la bonne direction lorsqu’il s’agit de l’éducation du petit de l’être humain.

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Élaborer ses idées à partir de celles des autres

La collaboration et l’entraide, entre les participants, est l’un des principes fondamentaux en communauté de recherche philosophique (CRP). L’idée de «communauté» renvoie elle-même directement au caractère collaboratif de la recherche philosophique qui est en jeu dans cette démarche. Mettre en route un projet comme celui de la CRP suppose que nous acceptions de créer un espace dans lequel ce sont les participants qui, travaillant ensemble, sont les principaux acteurs, auteurs, de leur apprentissage.

Les sources épistémologiques du principe de collaboration et d’entraide en CRP proviennent en partie d’une conception de l’apprentissage et de la production des savoirs, conception inspirée du constructivisme social. Selon cette vision, ce sont les apprenants qui, à travers leur action en situation, construisent leurs connaissances, leurs représentations. Bien plus, c’est par le biais de l’interaction entre les pairs qu’ils parviendront à co-construire leurs connaissances. Partager une vision d’inspiration socioconstructiviste, c’est considérer les processus menant à la production les savoirs (qu’ils soient savants ou endogènes) comme autant de constructions sociales. Ainsi, les savoirs, avant d’être considérés comme tels, sont soumis à des processus de construction dans lesquels nous prenons appui sur l’information disponible pour créer des liens, formuler des hypothèses, bref, pour construire des interprétations du monde qui, suite à des processus de «négociation» (d’où le caractère social de la construction des savoirs), seront jugées viables ou non. Ici, chaque habileté mobilisée, chaque information utilisée est une pierre que nous ajoutons à l’édifice. En CRP, c’est en collaborant que nous parvenons à progresser dans ce processus de construction sociale, c’est en collaborant que nous sommes en mesure de partager nos forces et d’améliorer d’autant la qualité de notre construction. C’est également en s’entraidant que nous parvenons à mettre au jour des idées qui, autrement, seraient demeurées enfouies.

Les sources éthiques du principe de collaboration et d’entraide en CRP naissent entre autres d’une dimension politique : la visée démocratique comme moteur de la recherche. Au cœur de cette visée se retrouvent non seulement des principes tel que l’équité et l’égalité, mais également des outils permettant une pratique de la démocratie. Parmi ces outils, il y a, notamment, le dialogue. Cet outil est particulièrement important en CRP. C’est par lui que s’organisent les échanges entre les participants. Le dialogue comprend une dimension éthique importante qui nous conduit à «voir l’autre comme autant capable de vérité que soi » – comme le dit la formule de Conche; en fait, le dialogue ne peut réellement prendre forme qu’à travers un souci réel d’ouverture et un désir de comprendre ce que nos interlocuteurs veulent dire. Ainsi, dialoguer c’est s’investir dans une relation où chacun ne cherche pas à avoir raison sur les autres, mais où tous travaillent ensemble à dépasser sa propre perspective pour s’engager dans une recherche de sens et de «vérité» qui dépasse les intérêts individuels.

Il existe plusieurs manières de collaborer et de s’entraider. Nous pouvons le faire en apportant un exemple à l’idée d’une autre personne, en complétant la définition avancée par quelqu’un ou même en questionnant ou en contredisant la position d’un autre participant. Dans ces cas, comme dans tous les autres, ce sont les attitudes et les intentions qui sont déterminantes.

Extraits et adaptations de GAGNON, Mathieu et SASSEVILLE, Michel. Penser ensemble à l’école ; des outils pour l’observation d’une communauté de recherches philosophique en action.

Quelques moments lors d’une formation en philosophie pour les enfants

La première partie de la formation en philosophie pour les enfants dans le cadre du cours Penser par nous-mêmes: parole et silence (PHI-1063) vient de se terminer à l’Université Laval. Plus de 40 participantEs qui pensent, réfléchissent, apprécient la possibilité d’entrevoir l’éducation autrement, une éducation axée sur la formation de la pensée critique, créative, attentive en faisant appel à la pratique de la philosophie dès le primaire.  Voici quelques moments de cette formation qui se terminera au mois de février dans une envolée théâtrale.  Pour vous inscrire aux prochains cours: les cours en philosophie pour les enfants à l’université Laval.

Qu’est-ce que la philosophie pour les enfants?


Il m’est arrivé à plusieurs reprises de répondre à cette question: qu’est-ce que la philosophie pour les enfants?

Récemment, je relisais les premiers passages d’un bouquin – Studies in Philosophy For Children. Pixie – qui se concentre sur un autre bouquin: Pixie, écrit par Matthew Lipman.  Dans Studies in Philosophy For Children. Pixie, j’estime que les premières lignes de l’introduction donnent une réponse claire à la question: qu’est-ce que la philosophie pour les enfants?  Je me permets ici de traduire ces premières lignes:

«La Philosophie pour les enfants est une tentative visant à considérer l’histoire de la philosophie et à la reconstruire pour les enfants de telle manière qu’ils se l’approprient pour eux-mêmes et puissent ainsi maîtriser l’art de penser de façon autonome et auto-correctrice.  La Philosophie pour les enfants a aussi été entrevue comme une aventure éducative, une tentative visant à convertir la classe en une communauté de recherche philosophique.  Dans cette communauté, les enfants apprennent l’art de la délibération et du dialogue et deviennent habiles à produire de bons jugements.  À mesure qu’ils grandissent dans la maîtrise de la recherche philosophique en commun, ils deviennent, espérons-le, de plus en plus en mesure de penser par et pour eux-mêmes à propos de sujets qu’ils trouvent importants, sujets qui ont intéressés aussi les philosophes depuis des centaines d’années.  Des sujets touchant la nature de l’univers, les qualités d’une vie bonne et le développement de la sagesse.» Studies in Philosophy For Children. Pixie, Ronald Reed & Ann M. Sharp, (dir.) Editions De la Torre, Madrid, 1996.

De cette définition, je retiens trois choses:

1- reconstruction de l’histoire de la philosophie pour les enfants;

2- pédagogie fondée sur la communauté de recherche (qui elle permet la pratique de la délibération et du dialogue);

3- penser à des sujets importants, tout autant métaphysiques, qu’éthiques, que logiques…

Réfléchir sur l’acte de réfléchir en philosophie pour enfants

Eve
Lorsque nous réfléchissons, lorsque nous pensons, lorsque nous raisonnons ou lorsque  nous  parlons,  nous  faisons  des  actes cognitifs. En fait, tout ce qui se rapporte à l’acte de penser est considéré comme de la cognition. Ainsi, les habiletés de pensée (faire des hypothèses, dégager des conséquences, fournir des critères, synthétiser…) sont de l’ordre de la cognition. Cependant, lorsque nous parlons de la métacognition, nous faisons référence à un mode de pensée qui est un peu différent. Effectuer  des  actes métacognitifs, c’est faire un retour (la plupart du temps critique) sur la manière dont nous avons réfléchi sur un sujet, sur la manière dont nous nous y sommes pris pour résoudre un problème, répondre à une question ou arriver à telle ou telle conclusion. Nous pourrions réfléchir sur un sujet, arriver à une certaine opinion et nous demander comment nous en sommes venus à penser ainsi. Lorsque nous faisons un retour sur ce qui nous a conduits à penser de telle ou telle manière, nous faisons des actes métacognitifs.

 

C’est la même chose lorsque nous faisons une activité ou un travail. Dans un premier temps, nous l’effectuons un peu à notre manière en utilisant ce que nous croyons être le plus approprié. Par la suite, lorsque le  travail  est  terminé  et  que  nous  nous demandons comment nous avons procédé pour arriver à ce résultat, nous sommes dans une perspective métacognitive. Il en va de même lorsque nous tentons d’évaluer la qualité de notre travail. Se demander si un  travail  est  bien  fait,  s’il  y  a  possibilité  de l’améliorer ou s’il y a d’autres manières de faire, c’est s’engager dans une activité de métacognition. En fait, la métacognition est un retour sur nos propres processus de pensée, sur nos propres manières de faire.

La métacognition, le fait de prendre nos processus cognitifs comme objet de réflexion, revêt  un  aspect  éminemment  critique lorsqu’elle consiste en une évaluation des outils cognitifs (ou outils de raisonnements) utilisés lors de la délibération. Lorsque nous parlons des outils de raisonnement, nous faisons allusion à plusieurs habiletés de  pensée  qui  s’exécutent  et  se  pratiquent  à l’intérieur des discussions philosophiques en groupe. Nous pensons alors à des habiletés aussi diverses que raisonner, inférer, faire des analogies, dégager des conséquences, fournir des raisons et des exemples, proposer des contre-exemples, définir…  En philosophie pour les enfants, ces outils constituent des objectifs de formation, puisqu’ils se rapportent tous, de près ou de loin, au jugement. En outre, chacun d’eux se caractérise par son caractère générique. Ainsi, nous croyons que si les enfants apprennent à mobiliser ces outils dans le contexte de la communauté de recherche philosophique, il y a plus de chances (quoique cela ne se produit pas nécessairement) qu’ils les utilisent à l’intérieur de contextes différents, pour ne pas dire dans leur vie de tous les jours.

Bien que les outils de raisonnement soient d’une importance capitale lorsque nous nous engageons dans l’exploration d’un concept ou encore à l’intérieur d’une formation au jugement raisonnable, il n’en demeure pas moins que leur utilisation doit être efficace et effectuée convenablement. Il se pourrait, par exemple, que nous nous y prenions mal pour définir, ou encore que nous usions de ces outils pour tromper la vigilance des autres, pour faire des sophismes… Il devient donc primordial de porter une attention particulière à la manière dont ces outils sont utilisés, et d’inciter les participants à faire preuve d’esprit critique lorsque ceux-ci sont mobilisés par les autres.

Extraits et adaptations de GAGNON, Mathieu et SASSEVILLE, Michel. Penser ensemble à l’école ; des outils pour l’observation d’une communauté de recherches philosophique en action, 2e ed. PUL, 2012.

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