La philo pour enfants ou l’art de développer une double mémoire

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Quand on entre dans une classe, un lieu où des enfants pratiquent la philosophie, il se peut qu’on s’étonne d’abord de la profondeur, voire de la candeur de leurs propos.  On se dira peut-être, comme tant d’étudiant.e.s du cours en ligne le remarquent dès le premier module du cours: « Je m’étonne de la profondeur de ce qui est dit par les enfants. Je ne croyais pas qu’ils étaient capables d’une pensée si abstraite. » Et il ne fait aucun doute qu’au sortir d’une session de travail en philosophie avec les enfants, plusieurs d’entre eux se souviendront vivement de ce qui s’est dit lors du dialogue. Mais, avec le temps, il y a aussi fort à parier que ces propos s’oublieront au profit d’autres propos qui sembleront encore plus riches de sens et de vérités. Il s’agit là d’une mémoire empirique qui, répondant à l’adage bien connu, est une faculté qui oublie.

Au même moment se développe une seconde mémoire, dont l’objet n’est pas ce qui se dit, mais les outils et les mouvements de la pensée ayant servi à exprimer cette dernière.  Mémoire analytique, elle s’incruste en chacun des participants, fois après fois, comme lorsqu’on apprend une langue. Car ce qu’on retient alors, au premier chef, quand on apprend une langue (maternelle ou seconde), ce ne sont pas les phrases dites en cours de discours (bien que cela puisse arriver), mais les instruments, les structures nous ayant permis de dire et de comprendre ce qui se dit (la langue comme puissance de dire).

A la différence de la mémoire empirique (le discours), la mémoire analytique (la langue) si elle est régulièrement pratiquée, répond plutôt à l’adage: la mémoire est une faculté qui se souvient. Grâce à la pratique répétée et soutenue, cette mémoire se souvient de mieux en mieux (et de plus en plus inconsciemment), non pas de ce qui se dit, mais des instruments ayant servi à dire ce que nous pensons et exprimons.  Ces instruments sont la grammaire de la langue qu’est l’acte de philosopher en communauté de recherche. Plus un.e animateur.trice se concentrera sur cette seconde mémoire, plus cette personne offrira aux enfants la possibilité d’apprendre à parler, à dire philosophiquement. Plus cette personne sera alors en train d’aider les enfants à peaufiner leur langue maternelle de recherche, une langue qui s’enracine dans le doute, l’étonnement et surtout les structures cognitives et sociales qui permettent à tous et chacun de dire avec nuances ce qu’ils ou elles pensent. 

À bien y penser, philosopher est un acte complexe et riche d’un passé qui prépare au présent de l’acte le futur à venir.

La philo pour enfants ou l’art de nourrir l’étonnement

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Il faut remonter à Aristote, semble-t-il, pour saisir que la philosophie commence dans l’étonnement. Mais qu’est-ce que l’étonnement?  Elle est, à mes yeux, cet acte qui consiste à se dire: tiens, je croyais que les choses étaient ainsi et me voilà en train de remettre en question cette certitude! Dès lors, on comprend que la philosophie commence en fait dans le doute. C’est en raison du doute que nous avons, parfois subitement, sur ce que nous pensions juste et vrai que l’étonnement arrive et qu’elle nous propulse vers un questionnement qui nous permet de progresser.

Ainsi, du doute, on passe à l’étonnement et de l’étonnement on passe au questionnement, lequel, s’il est bien nourri, nous conduira vers le problème que cache ce questionnement.  Car, si une question en cache une autre, il y a fort à parier que la question n’est que la pointe d’un iceberg que serait le problème qu’elle «cache». Et qui dit problème dit envie de penser. Et qui dit envie de penser dit possibilité d’apprendre à le faire de manière organisée, de manière critique, créative et attentive. C’est cela, notamment, qui est en jeu en philosophie pour enfants. Les enfants sont invités à s’engager dans un processus de recherche qui repose sur le doute, lequel entraine l’étonnement, la reconnaissance de la faillibilité de notre condition humaine, le souci d’auto-correction et le désir de donner du sens à ce qui, parfois, tout à coup, nous semble vide de sens, étonnant, questionnant!

En figure très simplifiée:

doute –> étonnement –> question –> problème —> recherche –> réponse(s) –> quiétude –> doute –>…

La philosophie pour enfants: un langage à apprendre… suite

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Ce court billet est une suite au billet du mois de mars dernier.

La philosophie, comme toute discipline, est un langage. Comment apprend-on sa langue ? Comme toutes les autres : en la parlant. Peu à peu, elle deviendra de plus en plus intériorisée et permettra alors des emplois particuliers de plus en plus nuancés, remplis de sens.

Ce qu’on apprend quand on apprend une langue, ce ne sont pas les phrases prononcées, mais les structures grammaticales qui en permettent l’existence. Ce sont ces structures grammaticales ( dans le cas de la philosophie, notamment, les habiletés de penser que sont le raisonnement, la recherche, l’organisation de l’information et l’interprétation) qui se construisent peu à peu et de manière de plus en plus inconsciente dans la pensée de ceux et celles qui pratiquent cet art.  Plus ces structures sont intériorisées, plus les emplois particuliers en discours ont du sens!  Plus les questions deviennent riches, plus le mystère de la vie s’enrichit! Plus ce qu’on y entend se comprend.

Apprendre le langage qu’est la philosophie, c’est passer du plan empirique (celui du discours, de ce qui se dit) au plan puissantiel (terme employé par le linguiste Gustave Guillaume qui renvoie à la langue).  Plus précisément, il y a un passage analytique, potentialisant, des conséquences entendues dans le discours aux conditions comprises – comme comprenant les conséquences, c’est-à-dire un passage du plan empirique au plan puissanciel. Ce serait cela qui se passe quand un enfant apprend à faire de la philosophie en communauté de recherche. Il ne s’agit donc pas d’apprendre des philosophies par coeur, ni, en tant que pédagogue se concentrer sur ce que les enfants disent, mais de leur permettre de faire le passage analytique, potentialisant, des conséquences entendues aux conditions comprises – comme comprenant les conséquences (pour l’animateur, se concentrer sur les habiletés de penser et les rapports sociaux entre les enfants).  Il s’agit de la mémoire virtuelle, et non d’une mémoire empirique.  La mémoire virtuelle ne remplace pas la mémoire empirique, mais s’ajoute à elle.

Comment favoriser la formation de la pensée par la philosophie pour enfants?

Je suis en route pour la troisième édition de livre Penser ensemble à l’école: des outils pour l’observation d’une communauté de recherche en action, écrit en collaboration avec mon collègue et ami Mathieu Gagnon. Celle-ci sera considérablement augmentée par l’addition de plusieurs textes touchant les conduites de la personne qui anime un dialogue philosophique avec les enfants et les adolescents. Alors, voici, en avant goût, l’un des nouveaux textes qui en fera partie!  Les propos qui suivent sont de ma main et n’engagent en rien mon ami Mathieu. Lire la suite

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