Le processus d’intériorisation en communauté de recherche philosophique

L’expérience de la création d’une communauté de recherche philosophique (CRP) a une durée.  L’expérience que les enfants font lors de la création d’une CRP occupe un espace de temps plus ou moins long selon la distance plus ou moins grande s’inscrivant entre le commencement et la fin de cette expérience.   Celle-ci pourrait être symbolisée par une ordonnée coupée en deux endroits, ces coupes symbolisant son commencement et sa fin.  En figure:

 


Figure 1 (inspirée du linguiste Gustave Guillaume)

L’expérience qui se déroule entre C et F, dont CF est l’ordonnée, ne s’abstrait pas de la durée.  Mais au fur et à mesure que l’expérience avance dans le temps, au fur et à mesure que la connaissance expérimentale qu’elle suscite s’intériorise, c’est-à-dire se soustrait à la durée.  On peut ainsi la revoir tout d’un coup, en en faisant tenir la somme dans le cadre d’un instant de l’esprit. À ce moment survient une connaissance qu’on pourrait qualifier, disait le linguiste Gustave Guillaume (parlant alors du langage) de trans-expérimentale qui est intériorisation, représentation et qui, quittant l’ordonnée CF, se développe dans l’instant sur un axe de recoupement XX’ mené par F.  À nouveau en figure:

  Figure 2 (inspirée du linguiste Gustave Guillaume)

Vue ainsi, l’intériorisation est une activité qui consiste à éliminer de l’expérience le facteur durée et à tout voir, à tout revoir dans un temps dont la durée, cette fois-ci, se réduit à un instant de l’activité mentale.  De l’une à l’autre, on passe du temps dans lequel les enfants font l’expérience de la pratique philosophique – le temps au titre de contenant – au temps qui se développe en eux et qui, considéré cette fois au titre de contenu, permettra d’expliquer les rapports intrapersonnels, fruit de l’intériorisation des rapports interpersonnels vécus dans le dialogue.  Ce qui pourrait être figuré, cette fois, de la façon suivante:

 


Figure 3 (inspirée du linguiste Gustave Guillaume)

La condition d’une extériorisation valable de la pensée en CRP suppose l’intériorisation de celle-ci, c’est-à-dire l’assimilation et la systématisation de moyens de recherche utilisables en vue de fins plus ou moins complexes.  L’intériorisation n’est donc pas uniquement le reflet de ce qui se passe entre les participants. Prenant son départ, pour se construire, à ces rapports interpersonnels, elle est en plus le résultat d’une systématisation qui ne se trouve pas toujours et entièrement présente dans le dialogue entre les enfants. 

D’où vient alors cette systématisation?  Elle vient du rapport plus englobant être humain-univers au sein duquel se trouve le petit «face-à-face» être humain-être humain.  Si le dialogue fournit l’occasion, par la répétition qu’il engendre, de former en soi des habitudes, celles-ci ne deviendront vraiment intériorisées qu’au moment où, s’inscrivant dans un réseau de relations fondées ultimement sur le lien inévitable qui existe entre l’être humain et l’univers (qui est le lieu de l’être humain), elles se systématiseront, s’orchestreront aurait dit M. Lipman, et deviendront alors condition de puissance des actes qu’elles permettent de réaliser.  Intérioriser pour extérioriser, virtualiser pour actualiser, représenter pour exprimer, c’est là le processus peut-être le plus fondamental de l’apprentissage que réalisent les enfants au moment de participer à la création d’une CRP.

La communauté de recherche philosophique: un instrument de lucidité et de construction de la personne

S’il est juste de penser que la communauté de recherche philosophique (CRP) est la langue qui préside aux actes de recherche exprimés dans le discours qu’est le dialogue, alors on peut avancer que la transformation de la classe en CRP est une entreprise visant le développement de la lucidité des enfants.  Une entreprise, par conséquent, qui au plan éducatif vise moins l’accumulation de connaissances que le développement d’une puissance de connaître et de comprendre. Lire la suite

Analyse d’un dialogue en communauté de recherche philosophique

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Il me semble important que les personnes qui font de la philosophie avec les enfants prennent régulièrement le temps d’analyser les dialogues qu’elles animent. Grâce à cette analyse, ces personnes pourraient ainsi affiner leurs interventions et aider les enfants à devenir de plus en plus capables de penser par et pour eux-mêmes. À quoi peut ressembler une telle analyse? Afin de donner un exemple, je m’appuierai ici sur un dialogue tiré de l’un des romans de M. Lipman, soit l’une des parties du chapitre 6 de La découverte de Harry. Les enfants sont sur le point de s’endormir, mais une discussion s’engage sur la nature de l’esprit.  Le passage, un peu long, me semble particulièrement révélateur des caractéristiques d’une bonne recherche intellectuelle en communauté de recherche.  Une fois le dialogue présenté, j’en ferai l’analyse.

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Quelques mouvements généraux de la pensée présents dans une communauté de recherche

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Les mouvements de la pensée humaine engagée dans une communauté de recherche philosophique (CRP) sont tout aussi nombreux que variés. Le livre Penser ensemble à l’école : des outils pour l’observation d’une communauté de recherche en action fait état d’une centaine de conduites cognitives et sociales présentes dans la CRP.  Chacune de ces conduites renvoie à des mouvements de la pensée. Malgré la quantité importante de mouvements de pensée observables dans une communauté de recherche, il est possible de les ramener à quelques mouvements fondamentaux.  Ces mouvements de la pensée sont des rapports structuraux inscrits dans la communauté de recherche. Lire la suite

La philosophie pour enfants et l’univers regardant des outils de la pensée

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Je m’inspire librement ici des écrits (Prolégomènes à la linguistique structurale 1) de Gustave Guillaume, linguiste français, qui ne connaissait rien à la philosophie pour enfants mais qui a vu, me semble-t-il, et sans le savoir va sans dire, de très loin ce qui se joue en philosophie pour enfants. Lire la suite

L’une des tâches qui attend la philosophie pour enfants

libéraux

Quand on songe à la philosophie pour enfants, on voit peut-être des enfants assis en cercle en train de discuter d’un sujet qui les intéresse avec le souci de questionner, problématiser, conceptualiser, en somme: donner du sens à leur expérience.  Et c’est une image qui renvoie bien à ce qui se passe dans les classes où des enfants font de philosophie.  Mais on peut aussi, pour le théoricien et le praticien que je suis, penser à la tâche qui attend ceux et celles qui préparent ces ateliers de discussion. Et cette tâche vise notamment à préciser au mieux l’acte de penser en communauté de recherche, afin que cet acte, aux multiples contours, puisse, par la répétition, s’intérioriser et aider dès lors les enfants à penser par et pour eux-mêmes.  Mais encore? Lire la suite

La philosophie pour enfants: apprendre à penser par une pratique réflexive en communauté de recherche

libéraux

 

Les êtres humains, jeunes ou vieux, sont des personnes qui pensent et ressentent et qui pensent de façon autonome en même temps qu’en collaborant avec les autres. Les personnes entières, non pas uniquement les esprits, les corps ou les sentiments, devraient être le point de concentration de tout enseignement et apprentissage.

Voici une liste de stratégies qui pourrait être intitulées « penser » et qui deviennent de plus en plus présentes lorsque les personnes sont invitées à pratiquer la philosophie en communauté de recherche: Lire la suite

Comment mesurer le progrès en philosophie pour enfants?

 

Le progrès en philosophie pour enfants peut être mesuré de plusieurs façons.  En voici deux exemples.

1- On pourra dire qu’il y a eu progrès parce que les membres de la communauté de recherche ont réussi à faire un certain nombre de distinctions considérées comme justes par la communauté.  Dès lors, le progrès est considéré sous l’angle du contenu de la recherche et du discernement qui est en train de s’aiguiser.

2- On peut aussi mesurer le progrès de la communauté de recherche en termes d’intériorisation des outils de la pensée qu’elle permet de mettre en action.  Si au terme d’une discussion, on aperçoit un nombre plus grand d’enfants (ou d’adultes) en mesure d’utiliser plus adéquatement les outils de la pensée (exemples, hypothèse, définition, raisonnement catégorique, renversement des phrases, identification de conséquences…), on pourra dire que la communauté de recherche a progressé, entendant par là que ses membres ont su mieux s’outiller dans le processus qu’elle entraîne dans sa création.  En d’autres mots, il y aura eu un progrès parce que la puissance de l’entendement des participant.e.s à saisir le réel et à donner un sens a augmenté. Lire la suite

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